Il est des émotions à rebours qu’il est préférable de laisser fermenter avant que de les exposer. Celles provoquées à l’écoute de Death Vessel sont de cet acabit. Ce fingerpicking sans attache, cette voix totalement sidérante, ces mélodies irrésistibles et ces arrangements champêtres. Pas de mièvrerie, pas plus d’enfantillage. Juste la somme de talents et de dons d’un chanteur idéalement mariés. Nothing Is Precious Enough For Us, paru en 2008, soit trois ans après un premier Stay Close, est une envoûtante transhumance vers des cimes que même la neige n’oserait salir, menée par Joel Thibaudeau, solide gaillard à la tignasse de hardeux mais doté d’une voix féminine sensationnelle (ou éreintante selon où se situe notre curseur de tolérance face aux voix atypiques). Transcendant l’americana par ses compositions aériennes, occasionnellement plombées par quelque fracas électrique — “Peninsula” ou “Exploded View”, seul point faible du disque –, mais globalement tournées vers le ventre des oiseaux afin de rendre le plus vite possible visite à ce soleil d’hiver qui les attire tant. Inutile de résister à la magie de “Bruno’s Torso” ou au charme de “Jitterakadie”, avec leurs six-cordes élégiaques, et leurs mélodies envoûtantes qui convoquent autant Johnny Cash que John Fahey. Piano, cornet, ukulélé, toy piano, harmonica ou mandoline sont autant d’amis de passage venus appuyer ces vignettes par petites touches sans jamais s’appesantir. Et ces titres ne doivent rien à personne, vivant leur vie d’éphémère comme un jour sans fin. En creux se camoufle une certaine science du rythme qui renvoie autant aux racines du blues que de la country, quand il ne s’agit pas d’une marche funèbre de coléoptère ; tant et si bien que chaque pièce amène l’auditeur ailleurs, mais jamais sur terre, ou à tout le moins jamais ici et maintenant. Un disque sur lequel ni l’espace ni le temps n’ont prise. Un rêve éveillé.

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