Donnant à entendre une musique tantôt sensuelle et ondoyante, tantôt anguleuse et cérébrale, la gracile Annie Clarke, mi-sirène mi-féline zébrant ses chansons de coups de griffes, continue avec ce nouvel album à cultiver un jardin étrange et luxuriant à nul autre pareil. Libre à l’auditeur de s’y aventurer.


On gardait un souvenir charmé du Marry Me de 2007 et notamment de sa chanson titre, douce et désarmante demande à laquelle beaucoup auront répondu avec enthousiasme. Mais à l’écoute de cet Actor, on se rend vite compte qu’au sucre dont elle savait parcimonieusement saupoudrer son étrange musique, St-Vincent préfère désormais l’eau salée tant on a souvent l’impression qu’elle cherche à s’enfoncer toujours plus avant dans des profondeurs musicales qu’elle-même semble avoir du mal à sonder. « Tu peux me suivre si tu veux » semble nous dire la belle indifférente avant de nager plus loin dans les remous d’un exceptionnel et dense tissu musical qui voit s’entrelacer guitares nerveuses, pulsations rythmiques, cordes et bois parcimonieux, ainsi que divers sons liquides difficilement identifiables — que dans le doute on qualifiera d’électroniques.

A propos d’Actor, on pourrait certes évoquer Robert Wyatt, autre grand solitaire, justement parce qu’on serait bien en peine de tracer l’arbre généalogique d’Annie Clarke. On pourrait également remarquer que la diffusion de plus en plus large des moyens informatiques (protools et autres) permet aux musiciens pop les plus aventureux de prêter une attention inédite aux couleurs instrumentales et aux alliages de timbres et de voix (on pense par exemple à Grizzly Bear). On pourra aussi rappeler qu’Annie Clarke a accompagné Sufjan Stevens (qui aime visiblement à s’entourer de brunes graciles, telle Shara Worden de My Brightest Diamond), mais qu’elle reste pas moins une musicienne singulière, et farouche avec ça.

C’est en femme-poisson qu’elle nous accueille, ou plutôt qu’elle nous laisse entrevoir son curieux domaine avec la pop toute en courbes et discrètement étrange de “The Strangers”. Mais aussitôt, passant sans prévenir du coq à l’âne — ou bien de Matisse à Picasso, de Debussy à Schönberg, etc. –, de la sensualité à la cérébralité, la belle nous propose une singulière pop cubiste, sèche et miroitante comme le quartz (“Save me from what I want” ou encore l’obsédant “Marrow”). Parfois les envies d’Annie dialoguent au sein de la même chanson, ainsi, “The Neighbors” fait se répondre longues et délicieuses courbes mélodiques et feulements rageurs, le punk rock caressant et catchy d’“Actor out of work” est couvert de griffures géométriques et atonales. On se doit également d’évoquer les flûtes et les bois de “Black Rainbow” qui nous plongent dans une profonde et inquiétante forêt de conte avant de le céder aux cordes, pour un finale orageux.

Par la suite, Annie Clarke saura se montrer sensuelle (“Laughing with a mouth full of blood”, “The bed”, “The party”), puis froide et bleue comme la glace. Ainsi les conclusifs et magnifiques “Just the same but brand new” et “The sequel” semblent reprendre leur distance, rappeler à l’auditeur que s’il a pu entrevoir l’étrange pays de St-Vincent, il n’y a pas pour autant sa place.

– Lire également la chronique de Marry Me (2007)

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