« Le jazz ne s’est finalement jamais réduit qu’à jouer du jazz . Comprendre son esprit, c’est approcher un peu plus son essence, sa spécificité. Comprendre le spirituel dans le jazz, c’est approcher son esprit, et éventuellement le faire sien ». En ces mots, témoins d’un engagement sans fard, parus dans la revue Mouvement (n°47), le saxophoniste Raphaël Imbert, aussi chercheur en musicologie, défendait en 2008 un point de vue résolument sacré sur le jazz. Figuraient parmi les exemples de musiciens venus étayer son propos des noms aussi prestigieux que Duke Ellington, John Coltrane, Pharoah Sanders, Albert Ayler, lesquels reçoivent un hommage circonstancié sur son dernier album en trio (une composition des deux premiers ouvre et referme respectivement le disque). Enregistré à New York, avec les fort recommandables amis américains Joe Martin à la contrebasse et Gerald Cleaver à la batterie, N_Y Project vient par la même occasion parachever des recherches de longue haleine — initiées en 2003 sous la houlette de la Villa Médicis — sur les rapports qu’entretient le jazz avec l’histoire des communautés afro-américaines aux États-Unis et la complexe notion de spiritualité. Pour autant, le trio évite l’écueil embarrassant d’une approche strictement didactique, tout comme la rigidité formelle d’un théorème dépourvu de musicalité. Constamment trépidante, la musique de Raphaël Imbert allie au contraire, comme rarement, intelligence et virtuosité, fluidité et jeu à vif. Si l’idée principale qui nourrit chaque plage est celle de la transmission (tout le disque peut s’entendre à l’aune de l’héritage spirituel du jazz au fil des générations), une autre plus souterraine, mais pas moins capitale, infuse également à travers le remarquable enchaînement des morceaux et des sons : une communauté (de pensées, d’artistes, d’hommes…) puise sa singularité, sinon l’affirme, à travers la force de ses choix esthétiques étroitement liés à la pluralité des discours spirituels et politiques qui la caractérise. Ainsi, de Ayler à John Zorn (le clin d’oeil klezmer de “My Klezmer Dream”), le jazz circule dans N_Y Project tel un désir assouvi d’émancipation, fût-ce celui de l’esprit, les envolées fiévreuses du leader (la puissance tellurique de « Cloisters Sanctuary ») ou son lyrisme clairvoyant, voire flamboyant (la suite « The Zen Bowman »), venant dans les faits traduire avec conviction le propos sous-jacent. Et cet album ambitieux d’apparaître, dès lors, tout à la fois comme un feu sacré et un chant épique de très haute volée.

– La page MySpace de Raphaël Imbert
– Le site de Zig-Zag Territoires

– « My Klezmer Dream » :