Le jeune farfadet de New-York n’en est plus au tourisme. Il nous propose désormais de nous accompagner en terra incognita, faisant la promesse que seul le beau subsistera. Promesse tenue.


Il est toujours intrigant d’observer à la dérobée un petit animal évoluer autour de son terrier et s’adonner aux joies de la vie à l’extérieur. Écouter le nouveau disque de Chris Garneau relève un peu de cette sensation. Il y a deux ans, lorsque paraissait Music For Tourists, nous voyions dans ce jeune chérubin à la voix céleste un nouveau candidat à la musique introspective et intimiste, aux côtés d’un Luke Temple ou du Sufjan Stevens période Seven Swans. Aujourd’hui, Temple s’en est allé cueillir des étoiles avec Here We Go Magic et Sufjan Stevens est passé chef de file d’une scène dont on peine à définir les contours tant elle semble ne pas pouvoir se tarir. Chris Garneau n’a pas échappé à l’effet papillon en livrant El Radio, ce deuxième album magique, impalpable et ouvert à la lumière naturelle.

Composé de douze chansons regroupées en quatre parties comme autant de saisons, El Radio démarre sur “The Leaving Song”, une chanson de départ comme une aurore boréale, prenant son temps pour faire délicatement fondre la glace qui aurait saisi des insectes en plein vol. Une douce montée de cordes portée par la voix incroyable du brooklynois. S’ensuit “Dirty Night Clowns”, une ritournelle hors d’âge qui fait la part belle au piano sur un rythme saccadé, rappelant certaines aventures musicales dont son concitoyen Sufjan Stevens — toujours lui — a le secret.
Si le piano se taille une fois encore la plus grosse part, sa suprématie est toutefois sérieusement contestée par une utilisation d’une délicatesse infinie de la guitare, qui apporte une sensation ouatée à tout ce disque, sensation transcendée par le chant définitivement irréel du jeune homme. Régulièrement accompagné de choeurs — la majestueuse “Over and Over”, son Glockenspiel et ses enfants –, il construit sous nos yeux, brindille par brindille, un empire de feuilles mortes comme traversé d’éclats de cristal. Les arrangements veloutés et la production chaude et enveloppante achèvent de décrocher la lune. Chris Garneau vit dans une autre galaxie et envoie un message aux humains.

Puis, au-delà du travail d’orfèvre sur la matière, l’Américain est doté d’une plume affirmée, brodant des compositions riches et denses, bien plus complexes qu’il n’y paraît, n’hésitant pas, si nécessaire, à faire appel aux instincts puérils et innocents des auditeurs meurtris que nous semblons être dans son esprit. Il en va ainsi de la merveille absolue “Fireflies”, petite sucrerie enchanteresque portée par un Wurlitzer asmathique, des percussions chimériques, un violoncelle doucereux et une mélodie irrésistible. Parfait condensé de l’univers nouveau de Garneau, entre gravité et enchantement, poésie et irréel, entre lucioles et feux follets. Ce procédé de légère accélération sera d’ailleurs utilisé à plusieurs reprises, notamment dans la reprise du même thème, “Lucioles en Ré Mineur”, ou encore “Dirty Night Clowns” et “No More Pirates”. Ce dernier titre nous permet d’ailleurs de restituer Garneau plus précisément sur l’échelle de l’évolution de la pop intimiste américaine, l’éloignant occasionnellement de Stevens tout en le rapprochant irrémédiablement d’un autre disque irréel et enfantin, l’increvable Daisies Of The Galaxy de Eels, album douloureux et enchanteur. Il y a d’ailleurs de fortes chances que le nouvel opus du jeune prodige connaisse le même sort que le troisième effort de son aîné, à savoir qu’il sera tantôt adoré, tantôt détesté, ne laissant personne indifférent.

En deux albums à peine, Chris Garneau s’est déjà élevé au rang de ces créateurs sans limite, petites mammifères rares que personne n’apprivoisera jamais. Gageons qu’avec une telle identité musicale il saura toujours se réinventer pour amener son auditeur ailleurs, dans d’autres univers dont même lui ignore encore l’existence. De ces hommes qui vouent leur art à la plus belle des ambitions : rendre la vie juste un peu meilleure.

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– Ne boudons pas notre plaisir, en écoute “Fireflies” :