Tyondai Braxton est décidément bien le fils de son père — en l’occurrence, le saxophoniste chicagoan Anthony Braxton, un des fers de lance du free jazz. Battles et son math-rock ravageur mis un temps entre parenthèses, c’est en compagnie d’un orchestre symphonique new-yorkais (le Wordless Music Orchestra déjà aperçu aux côtés de Jonny Greenwood) que le prodige multi-instrumentiste donne forme à ses compositions irrévérencieuses, avec un second album solo opulent et audacieux (le premier et radical History That Has No Effect date de 2002). Nourrie sans vergogne d’Igor Stravinsky, de Charles Ives, d’Enio Morricone, de John Adams ou encore des Swans, la musique délivrée dans Central Market dénote une exubérance éparpillée dans tous les rayons (rock, jazz, classique, electro, punk…), sans que les emplettes du maître d’oeuvre ne tournent au vinaigre ou se transforme en macédoine superfétatoire. À l’instar de John Zorn, Tyondai Braxton trouve dans le mélange des genres matière à inventer des assortiments sonores originaux qui sont autant de manières de bousculer les conventions et les hiérarchies (la grande « musique » y côtoie l’undergroud avant-gardiste, comme par exemple lorsque les cuivres flamboyants dialoguent avec un kazoo taquin, tout droit sorti d’un cartoon, ou une guitare électrique rêche et assassine). Si on peut parler ici de musique savante, jamais le savoir ne prend le pas sur celle-ci qui bondit d’une expérimentation à l’autre sans cesser d’être accessible, populaire. Avec beaucoup d’humour, voire d’ironie, Braxton brasse des univers antinomiques qui s’attirent ou se percutent telles des autos tamponneuses dans une foire. Mais la parade, aussi joyeuse soit-elle en apparence, dissimule en fait son lot de vertiges et de dissonances. Des glissements de terrain inquiétants qui prennent nettement le dessus lors des trois derniers morceaux : rythmique rock syncopée et textures ombrageuses signifient alors l’envers du spectacle rutilant et extatique, agissent comme un contrepoint mortifère qui vient donner une ampleur presque paranoïaque à l’ensemble (l’album se termine par un “Dead Strings” qui annonce la couleur). Une réussite inestimable qui redonne au passage, deux ans après l’épatant Mirrored, tout son lustre au label Warp.

– La page MySpace de Tyondai Braxton

– En écoute : « Platinum Rows »