Le leader de Clap Your Hands Say Yeah se met au vert sur un disque champêtre et jovial. Pas de quoi se lever la nuit, mais déjà largement suffisant pour danser tout le jour. Allez, répétez après moi : yeaaaaaahhhhh !!!


Ce n’est pas un hasard si, sur sa propre page MySpace, Alec Ounsworth recentre ses origines et évoque Philadelphia en Pennsylvanie plutôt que New-York, ville rattachée à son groupe, Clap Your Hands Say Yeah. Le disque solo est toujours un exercice délicat pour le leader d’un groupe emblématique. Ô, certes, CYHSY n’est pas l’emblème absolu, l’icône d’une génération ou le mythe vivant d’une époque. Tout au plus une éruption rock’n’roll inattendue, étonnamment rafraîchissante et suffisamment décalée vis-à-vis de tous les courants pour provoquer autre chose qu’un intérêt poli. A vrai dire, on ne sait trop, à l’heure qu’il est, ce qu’il adviendra du quintet qui a livré en l’espace de deux ans deux albums délicieux et une poignée de concerts hasardeux — et on s’en moquerait presque tant ces deux disques suffisent à nous étourdir. Toujours est-il que CYHSY n’aurait rien été sans Alec Ounsworth (et réciproquement), ce leader chétif à la voix plus nasillarde et moins puissante que celle de Billy Corgan (pas vraiment une chance, pour le coup), mais doté d’un magnétisme insolent. Qui compensait largement le charisme de petites cuillères de ses comparses, soit dit en passant. Il est donc naturel qu’au moment de passer à l’épreuve solitaire après s’être fait un nom, notre homme se dévoile un peu plus et se détache de son bureau. Ceci étant dit, cet élément s’avère au final bien inutile tant la musique qu’il livre seul ressemble peu à celle qu’il élabore et déconstruit en groupe.
Mo Beauty arbore-t-il au fronton de son disque. Un album qui étale une série de chansons de guingois, empreintes d’une beauté à la fois chétive et farouche, à la fragilité rieuse, et qui signent le retour à une simplicité tenace pour leur auteur. On avait laissé CYHSY sur Some Loud Thunder, un disque rebelle et retors, hymne à la joie conforme aux normes sonores mais grave et mélancolique, jamais vraiment sérieux, tout en sinus et cosinus ivres. On y sentait l’acharnement du labeur, le goût du travail bien fait et aussitôt malaxé, la preuve par deux que le premier album, cet opus si frondeur et équilibriste, n’était ni un hasard ni un accident, mais bel et bien un avertissement qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Et CYHSY de devenir, bon an mal an, un groupe phare. Un costume mérité mais assurément trop grand pour ces cinq gars gourds et maladivement sauvages. Alec décide donc de prendre l’air et de faire comme bon lui semble. Bien lui en a pris.

Ceux qui prient encore tous les matins sur l’obsédante litanie de “Goodbye to Mother and the Cove” avant que de détaler sur “The Skin of my Yellow Country Teeth” en seront pour leur poche. Ce n’est pas Mo Beauty qui les ramènera à un degré similaire de folie contenue et soucieuse de son entretien. Il s’agirait au contraire de s’aligner sur la ligne blanche. Au détail près que la peinture est encore toute fraîche et que l’on prend un malin plaisir à s’en étaler sur les jambes. Alec Ounsworth y fait toujours merveille avec sa voix, irritante pour les uns, unique pour les autres, mais là n’est pas l’essentiel. C’est d’une part l’écriture qui retient l’attention ici, et d’autre part la liberté qui se dégage de l’interprétation. Et c’est bien là le grand paradoxe de ce disque bon comme un coup de rouge.
Voilà probablement les chansons les plus avenantes et directes qu’Ounsworth n’ait jamais écrites : mélodie limpide, succession couplet-refrain-couplet-refrain, sans oublier au passage le pont indispensable pour rebondir sur un nouveau refrain.
On sent le chanteur dégagé des contraintes et contingences de l’écriture dans le cadre d’un groupe qu’il faut amener au firmament que la plèbe lui avait tendu. Il s’affranchit de toute obligation démonstrative et se concentre sur le jeu. Car c’est à son niveau que la donne est toute autre. Non pas que les collègues de CYHSY soient de parfaits manchots, loin de là. Mais les complices qui officient sur Mo Beauty semblent n’avoir eu qu’une seule indication : faites à votre guise. Il se dégage alors de ce disque un sentiment contagieux de liberté juvénile. Mo Beauty est un disque au sourire facile, qui ne se refuse aucune explosion, aucun écart de conduite. Un sale gosse. Un petit frimeur mal dégrossi mais qu’on prendrait dans ses bras au moindre sourire. Les invités sont ici chez eux et ils en profitent. Les lacets bien serrés de CYHSY sont comme coupés et les chemises lacérées. Attention, il n’en est pas pour autant un disque facile, loin s’en faut. Des ritournelles comme “Holy, Holy, Holy Moses” et “What Fun.” sont des étoiles à la nudité désarmante quand “South Philadelphia” resplendit par son refrain solaire, ses cuivres brûlants et sa rythmique cavaleuse. Ailleurs, les orchestrations amphétaminées et jubilatoires de certaines vignettes — “That is not my Home”, “Me and You, Watson”, “Modern Girl (… With Scissors)” — participent de ce sentiment d’indépendance totale et font de Mo Beauty un véritable baume.

Alors bien sûr, si cette appétence pour l’immédiateté a réduit le côté iconoclaste d’Alec Ounsworth à sa portion congrue, confinant Mo Beauty au rang de disque mineur — nous n’avons pas abordé le travail de production lo-fi, mais c’est assurément le point faible de ce disque, un artifice inutile –, il n’en demeure pas moins que le plaisir simple qu’il procure justifie à lui seul son existence. Il est même des récréations qui provoquent des sursauts fabuleux. Inutile donc de dire que l’on peut s’attendre, pour le prochain disque de CYHSY (si prochain disque il y a, rien de moins sûr, rappelons-le), à une expérience assurément hors du commun. On s’en délecte déjà, patientant sans souci au rythme chaloupé de Mo Beauty.

– Son MySpace

Retour sur Clap Your Hands Say Yeah :
Some Loud Thunder (2007)
Clap Your Hands Say Yeah (2005)

“Modern Girl” en acoustique sur la radio KEXP :