Girls a le vent en poupe. Le duo de San-Francisco n’en finit plus d’accumuler les éloges et les œillades avec leur premier album séduisant et solaire. De passage à Lille pour leur tournée Européenne marathon avant de poursuivre une série de concerts aux États-Unis, ils ont bien voulu se poser quelques minutes en notre compagnie. Entretien avec une formation sollicitée mais modeste.


C’est dans une loge intimiste de l’Aéronef que nous rencontrons les deux têtes pensantes du groupe. Une discussion simple et bienveillante avec Chet Jr. White, grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix, affable et loquace, qui répondra généreusement à nos questions, tandis que le frêle Christopher Owens, casquette vissée sur la tête et ongles peints, sera plus souvent occupé à regarder ses Dr Martens vert pomme… avant de s’illuminer tout à coup, lorsqu’on se mettra à évoquer avec lui le hérault pop maudit, Lawrence Hayward. Entrevue avec les Californiens, histoire de découvrir que, derrière la hype et les critiques dithyrambiques, se cachent en réalité deux charmants garçons.

Pinkushion : Comment le groupe s’est-il formé et comment s’est passée votre première rencontre ?

Christopher Owens : Notre première rencontre s’est passée lorsque j’ai quitté le Texas pour San-Francisco et que j’ai commencé à y rencontrer des gens. Jr. était un des amis du groupe que je fréquentais, c’est ainsi que nous le sommes devenus à notre tour. Nous avons été amis trois ans, avant de décider de faire de la musique. Puis nous avons voulu monter un groupe et faire un disque. Rapidement, la réaction des gens sur internet a été énorme ! Nous sommes donc devenus un vrai groupe et avons dû donner des concerts pour assurer. Les gens nous ont vus comme un groupe, alors nous le sommes devenus ! (pause) C’était par accident.

Chet Jr. White : C’est la rencontre de deux personnes qui deviennent amis.

Qui a eu l’idée du nom Girls ? C’est un nom assez commun, quelle était l’idée derrière ?

Chet Jr. White : Ça a surgi dans mon esprit, parce que Chris jouait dans un groupe avec sa petite amie de l’époque. Ils s’appelaient Curls et Chris pensait que le nom du groupe devait être « Curls ». Il aimait le nom et moi aussi, mais il me semblait que si nous devions commencer quelque chose, il faudrait que cela soit sous un autre nom, parce que, peu à peu, leurs sentiments avaient changé. Et puis on jouait d’autres chansons et Chris a commencé à chanter différemment. Après y avoir pensé quelque temps, nous avons trouvé que « Girls » sonnait comme « Curls ! » On a donc opté pour Girls. Il n’y avait pas vraiment de raison.

Ça sonne bien !

Chet Jr. White : Oui ! Nous avons aussi trouvé que c’était évident. C’est simple, ça va droit au but. Oui, ça sonne bien !

Girls (Christopher Owens/ Chet Jr. White), 2009

Comment cet album a-t-il été produit ? Où l’avez-vous enregistré ? À la maison ou en studio ?

Chet Jr. White : Principalement à la maison. Nous n’avons pas utilisé de studio. Nous cherchions un endroit pour répéter. Chris connaissait quelqu’un à son travail qui jouait dans un groupe, et j’avais de la place pour disposer du matériel d’enregistrement. Une pièce un peu comme celle-ci, pour que le groupe puisse répéter. On commençait tard la nuit, après minuit. On avait tout le matériel d’enregistrement à disposition, éparpillé sur le sol et on restait là très tard, jusqu’au matin, juste avant que Chris ne retourne à son travail. Au début, nous n’avions aucune intention de sortir un disque. À l’époque, aucune maison de disques n’était encore impliquée dans le projet, qui était celui de quelques personnes créatives, qui essayaient de faire quelque chose, d’avoir leurs propres initiatives. On a enregistré cet album en peu de temps, dans le petit salon de la maison de mes parents qui se trouvait à environ deux heures de là où j’ai grandi (Ndlr : San-Francisco). Si nous avions sollicité un label, le son aurait été sûrement plus propre.

Pour le prochain album, souhaiteriez-vous travailler avec quelqu’un en particulier ?

Chet Jr. White : Je crois qu’on commencera à enregistrer assez rapidement à notre retour. Nous travaillerons avec un peu plus d’argent, dans un meilleur studio que celui que nous avions. Avec plus d’équipement, et de meilleure qualité. Nous ne savons pas encore où. Nous devons en décider. (rires)
Nous allons commencer et voir ce qui se passe. Je n’ai jamais imaginé travailler de manière professionnelle, alors je ne sais pas.

Christopher, est-ce que l’opinion de Chet est importante pour toi lorsque vous commencez à composer ?

Christopher Owens : Juste au moment où nous commençons à enregistrer. Mais pas pour écrire ! J’écris juste la base des chansons et nous les retravaillons ensemble. Pour moi, écrire des chansons est assez simple, je les écris assez vite et je n’ai pas besoin d’en parler avec les autres.

Tu n’avais jamais écrit de chansons auparavant?

Christopher Owens : Non, pas de chansons. J’avais seulement l’habitude de jouer du piano, de composer des mélodies…

Tu jouais du piano ?

Christopher Owens : Oui… Mais jamais dans l’idée d’écrire des paroles ou de chanter.

Vous commencez à avoir beaucoup du succès. Est-ce que vous avez senti une accélération des choses, votre vie a-t-elle changé ?

Chet Jr. White : Nous sommes plus occupés, tout va plus vite (rires) !

Christopher Owens : Nous sommes en tournée, c’est la différence principale.

Comment ressentez vous les choses à propos du fait de tourner ? Les fans ?

Christopher Owens : Oh les fans sont super ! C’est le bon côté du travail. La meilleure chose que nous faisons, c’est de jouer, comme aujourd’hui, par exemple, où le concert démarre dans une heure. Mais il y a d’autres jours où on attend un peu trop…

Chet Jr. White : Oui, nous n’avons plus beaucoup de temps pour nous… Chanter, faire partie d’un groupe durant six heures et ne pas pouvoir bouger ou aller où on veut…

Christopher Owens : Nous devons actuellement renoncer à avoir des petites amies, ou des choses que les gens ont habituellement dans leurs vies. Comme pouvoir faire ce dont nous avons envie. On passe toutes nos journées à voyager. Récemment, j’avais une heure à perdre et j’ai l’habitude, dans ces cas-là, de boire et d’être évidemment bourré (rires) !

Vous avez encore du temps pour composer ?

Christopher Owens : J’en ai eu avant de partir en tournée, mais pas actuellement.

Chet Jr. White : Nous devons prendre du temps pour enregistrer. Je pense que tous les groupes aiment enregistrer. Je ne veux pas y renoncer, c’est une chose qui nous tient à cœur. Les concerts sont vraiment géniaux, nous adorons. C’est une chose difficile à contrôler.
Tu sais, nous ne somme pas comme Stevie Ray Vaughan ou John Paul Jones avec leurs instruments, tu vois ce que je veux dire ? Ils sont bons, mais ils sont toujours l’un comme l’autre en studio.

Christopher Owens : Nous, nous jouons notre musique punk !

Chet Jr. White : Oui. Jouer en live est si énorme. Les concerts sont une chose géniale, c’est comme avoir la tête dans le mur parfois. Pour moi, c’est préférable aux Beatles qui passaient six ans dans le même studio, c’est complètement dingue. Je ne peux pas m’imaginer faire la même chose.

J’aimerais savoir quels groupes vous ont inspiré, ou lesquels vous aviez l’habitude d’écouter lorsque vous avez commencé à enregistrer votre disque ?

Chet Jr. White : Nous avons écouté beaucoup de morceaux, peu importe les groupes. Toute bonne chanson m’intéresse, sans prédilection pour des groupes en particulier.

Christopher Owens : Oui, nous écoutons beaucoup trop de musique. J’aime beaucoup de choses, de différents styles. C’est pourquoi c’est difficile de répondre.

Chet Jr. White : Moi j’ai l’habitude d’écouter des choses comme 2Pac et Mariah Carey. (rires)

Girls, 2009

Beaucoup de monde compare votre musique avec celle de Felt. Vous êtes d’accord avec ça ?

Christopher Owens : Non. (rires)
C’est probablement un de mes groupes préférés depuis longtemps, mais je ne vois pas de comparaison.

Pourquoi ne pourrait-on pas vous comparer ?

Christopher Owens : Je ne sais pas. Leur « songwriting » est si complexe, et beaucoup de leurs paroles sont poétiques. Lawrence chante de manière très monotone. Il écrit tant et tant, il chante et écrit beaucoup. Il y a des pages et des pages de mots. Et au niveau de la musique, leur guitariste (Ndlr : Maurice Deebank) est un des meilleurs guitaristes de tous les temps — (Ndlr : il mime à ce moment là, la manière fluide de jouer de Deebank) — alors que nous c’est: (il fait de grands gestes et mime une manière de jouer plus direct, plus brut) « Bang Bang Bang » ! « Blah Blah Blah Blah » ! Tu vois ? (rires)

Oui, mais je trouve qu’on entend quelque chose de Felt dans votre titre « Headache », par exemple. J’aime beaucoup celui-ci.

Christopher Owens : Oui ? Ah c’est gentil. C’est super d’entendre qu’on sonne comme Felt. Je devrais probablement être d’accord. Mais ne le dis à personne ! (rires)

Justement, vous avez rencontré Lawrence il y a quelques mois. Vous voudriez dire quelque chose à propos de cette rencontre ?

Christopher Owens : C’est un type tellement sympa ; le voir, pouvoir parler avec lui était étonnant. Nous voulions le rencontrer et lui poser quelques questions. Il a rendu la conversation très facile. On a parlé une heure ensemble. C’était comme voir un ami, du même âge ou du même coin. C’est bizarre de faire quelque chose d’important dans la musique. Que ce soit à propos d’écrire ou de tourner. Nous voulions faire de même, évidemment…

Chet Jr. White : Nous avons probablement été chanceux. Nous voulions parler avec lui du mystère d’appartenir à un groupe, des gens qui le composent. Il était ouvert et gentil, tel que chacun de nous s’y attendait. On voulait simplement parler avec lui, sans lui poser de questions ou mener une interview. C’était assez sympa.

Une chance de le rencontrer.

Chet Jr. White : J’espère que davantage de gens s’intéresseront à sa musique.

J’aimerais savoir si l’artwork de votre album était une référence à la pochette de l’album des Pet Shop Boys Behaviour ?

Christopher Owens : Non. Quelques années avant de former le groupe, ou de faire de la musique, j’ai commencé à prendre des photos pour ma page personnelle sur MySpace. C’était juste des images expérimentales. Plus tard, après les avoir utilisées pour le groupe, j’ai réalisé que c’était la même pochette d’album que celle des Pet Shop Boys. Mais à partir du moment où tu commences à faire une pochette d’album, tu es plus attentif, tu sors tes idées de quelque part… Mais c’est cool. J’aime bien les Pet Shop Boys.

Quelles ont été vos premières connexions avec la pop music ? Les premiers albums que vous avez écoutés… ?

Christopher Owens : Les premiers groupes ou albums ?

Les albums. Ou les groupes si vous préférez…

Christopher Owens : Pour ma part, le premier album que j’ai eu était Dangerous» de Mickael Jackson. Quelque temps après, celui des Cranberries, puis Mellon Collie and the Infinite Sadness des Smashing Pumpkins, ou Oasis. Voici mes premiers albums.

Et toi Chet ?

Chet Jr. White : J’ai eu une grande sœur assez cool, c’était une énorme fan de Prince à l’adolescence… Je me rappelle avoir eu l’habitude d’écouter encore et encore le single “Man in a Mirror” (Mickael Jackson) sur notre combo vinyles/cassettes. Le disque Sergent Pepper’s qui appartenait à mon père. La chanson “When I’m Sixty Four” que j’avais l’habitude de chanter souvent, en allant à l’école.

Et aujourd’hui ?

Chet Jr. White : Aujourd’hui, Mariah Carey “Daydream”.

Aujourd’hui ? Mariah Carey ? (sourire)

Chet Jr. White : Oui ! Je sais c’est spécial (rires)… Et Jim Keltner.

Christopher Owens : L’album « Let It be »

Vous sentez-vous proches des groupes de la scène californienne ?

Chet Jr. White : La Californie est si grande. Le Nord et le Sud sont deux endroits totalement différents. Musicalement, on se sent évidemment proche de la scène musicale de San-Francisco. Tous nos amis sont dans un groupe, nous y avons vraiment beaucoup de bons amis.
San-Francisco est une petite ville, nous avons l’habitude de nous rendre à de nombreux concerts. Nous avons différentes sortes de connexions en Californie, mais il y a un peu trop de différences entre le Nord et le Sud.

(à Christopher) Tu es toujours proche des membres de Holy Shit ?

Christopher Owens : De Matt Fishbeck, oui.

Et d’Ariel Pink ?

Christopher Owens : On était assez proche, on se voyait beaucoup. Je ne vois plus tellement Ariel car il est très occupé aussi à présent. Il jouait de la basse pendant un temps dans Holy Shit. Mais nous ne le voyons plus assez.

Tu jouais aussi de la basse dans ce groupe ?

Christopher Owens : Non, j’ai joué de la batterie lors d’un concert…

J’ai cru te voir jouer de la basse sur une photo sur Internet.

Christopher Owens : Oh non, j’ai joué de la guitare pendant un moment, et lors de notre premier concert, de la batterie.

Chet Jr. White : Ariel jouait de la basse.

Christopher Owens : Oui, Ariel jouait de la basse. Mais peut-être qu’on doit se ressembler…

Nous avons une question rituelle. J’aimerais que vous me donniez vos cinq albums favoris.

Chet Jr. White : Je vais mettre un E.p.

Ça ne fait rien, ça ira.

Christopher Owens (en écrivant) : Il faudra vérifier l’orthographe !

Chet Jr. White (en comptant) : Un deux trois quatre… il t’en faut cinq ?

Christopher:

Michael JacksonDangerous
SuedeSci-fi Lullabies
DenimDenim On Ice
Smashing PumpkinsMellon Collie and the Infinite Sadness
SpiritualizedLadies and Gentlemen we are floating in space

Chet:

Black FlagJealous Again (E.P)
The Beach BoysSurfs Up
GrandaddySophtware Slump
Led ZeppelinI
MC HammerPlease Hammer Don’t Hurt Em’

– Lire également la chronique de l’album de Girls

Remerciements à Aurélie