Cette substance qui lui faisait défaut jusqu’ici, The Radio Dept. semble l’avoir trouvée sur ce troisième opus galvanisant. Une architecture d’orfèvre où cohabitent mélodies avenantes, élégance indie rock et electro-pop fureteuse.


En seulement trois albums et encore moins de EP et singles, disséminés en l’espace de huit ans (ce, sans compter que le collectif est né en 1995), on peut affirmer sans crainte que The Radio Dept. ne court pas après les aiguilles de la grande horloge. L’univers de ce très discret trio suédois, sous un parti pris très moderne, semble ne pas avoir d’emprise sur le temps. Un cas tout à fait exceptionnel que cette étanchéité venant d’une formation dite electro-pop, où l’esthétique propre se veut généralement vouée à un parfum d’éphémère. Autre facteur qui rentre en jeu dans ces longs délais : le trio prend en charge chaque infime étape du processus créatif, allant de la production aux visuels, des contrats jusqu’au merchandising…
Tous ces aspects n’empêchent pas, entre chaque album, une évolution notable. Surtout en regard de leur premier opus Lesse Metters (2003) où le Département Radio indépendant, émetteur de la bourgade de Lund, ne parvenait pas vraiment à se détacher de ses contemporains Postal Service, South ou Her Space Holidays. Habiles metteurs en sons, Johan Duncanson, Martin Larsson et Daniel Tjäder semblaient alors encore trop empêtrés dans leurs machines à dénouer les fils de leurs influences — My Bloody Valentine notamment (et toujours).

En février dernier cependant, la machine s’accélère : le quotidien anglais The Independant titre dans un article « The Radio Dept. Le groupe le plus téléchargé sur la toile derrière Yeasayer ». Le tranquille trio se voit soudainement catapulté d’un statut plus ou moins confidentiel à celui de dernière sensation grâce au single “David” offert gracieusement sur leur site officiel. Le morceau est d’une beauté supérieure, une mélodie synthétique chatoyante réalisant le délicat cross over entre sunshine pop et l’Endless Summer de Fennesz. Après des années de patience, The Radio Dept. capte enfin la fréquence idéale. Clinging To a Scheme est sans nul doute leur meilleur album à ce jour.

Difficile de garder la ligne devant cette pâtisserie d’orfèvre, à ingurgiter d’une traite et sans le moindre reste. Mais Attention ! Aucune surdose de pop sucrée n’est à détecter parmi leurs ingrédients, juste ce qu’il faut, à vrai dire, pour conserver de bout en bout ce goût si particulier. Écarté aussi le super mixer shoegazing. Certes, les guitares électriques passent toujours à travers de nombreux filtres, mais elles ne se voilent plus, sonnant même folk par moments, et d’une clarté étincelante. Si l’on excepte le seul instrumental nimbé de distorsion synthétique ombrageuse, Clinging To a Scheme est court de neuf chansons, aussi limpides mélodiquement que fourmillant de détails. On sent chez The Radio Depart. un attachement aux valeurs artisanales, un côté « enregistré à la maison », mais transcendé par un perfectionnisme de l’écriture qui ne saurait être contenu. Un disque serti de textures riches tout en restant profondément humaines. En ce point, The Radio Dept. rejoint quelque part Phoenix dans ses constructions mille-feuilles, denses mais accessibles — sur “Heaven’s On Fire”, ou encore “The Video Dept”, des guet-apens mélodiques qui louchent vers la maîtrise absolue d’un New Order.

Une sensation de flottement indicible nous traverse, qui atteint son apothéose sur “You Stopped Making Sense” (titre en hommage aux Talking Heads ?). Un finale intense évoquant un sentiment de quiétude immaculée, juste avant le basculement vers la perte de l’innocence. Et, au fur et à mesure qu’il s’en rapproche, Johan Duncanson répète inlassablement « I wanna go Closer ». Cette étrange lumière bouleversante, The Radio Dept. l’a effleurée le temps de trois minutes et cinquante secondes.

– Site officiel

– Ecouter « Heaven’s On Fire » avec Thurston Moore en special guest intro :