Les poulains d’Oxford freinent leurs spectaculaires équations post-punk pour une plongée atmosphérique. Prière de retenir son souffle.


Certains ont compris à leurs dépens qu’il est difficile d’assouvir l’ambition démesurée de Foals. Selon les dires du quintet britannique, le successeur d’Antidotes se rapproche enfin de leurs ambitions. Ce n’est pas rien quand on sait que, du temps du premier album, le chanteur/guitariste Yannis Philippakis s’évertuait à dénigrer dans la presse sa propre création. Principalement mis en cause, le degré d’implication du producteur, le sorcier new-yorkais David Sitek (TV On The Radio), jugé trop laxiste à leur goût. Le groupe va jusqu’à reprendre in extremis son mixage, évitant ainsi un « naufrage ». Relativisons, ces opinions n’enlèvent rien à la qualité exceptionnelle d’Antidotes, l’un des trois albums les plus aboutis de la décennie passée en matière de rock algébrique à suspension (n’oublions pas la machine de guerre Battles et la tempête dissonante Deerhoof).

Comme des poissons dans l’eau, voilà donc Foals dans leur nouvel élément sur cet étonnant Total Life Forever. La vision océanique offerte en couverture donne un précieux indice sur les nouvelles intentions du quintet : ce disque est sujet à d’intenses pressions sous-marines, voire atmosphériques. Au-dessous du niveau de la mer, l’auditeur plonge en apnée dans un bleu profond où règnent des climats éthérés, aussi panoramiques qu’inquiétants. Et lorsqu’il émerge pour reprendre le souffle, c’est dans l’épicentre d’un anticyclone des Bermudes. Mais pour l’essentiel, la section rythmique syncopée d’Antidotes ralentit gracieusement ses battements pour épouser les gestes d’un ballet aquatique (grandiose “2 Trees”, l’interlude « Fugue »). Sur le premier album, les querelles picrocholines opposant staccatos de guitare et batterie élastique scellaient une dynamique singulière, un groove infernal et effréné. Avec Total Life Forever, Foals prend le contre-pied et surprend par sa capacité à laisser respirer les silences.

Cette descente du métronome s’accompagne d’une réverbération mélancolique inédite, palpable sur “Blue Blood”, “This Orient” ou encore “Black Gold”. Enregistré en partie dans une banlieue froide de Gotenburg, avec le producteur prometteur Luke Smith (ex Clor, ingénieur du son du dernier Depeche Mode), le climat hivernal des sessions suédoises semblent avoir directement influé cet album sur certaines pistes. Le son des effets de guitares passe d’un état liquide à solide : on les sent grelotter — le frissonnant et mal nommé “This Orient” –, parfois scintiller comme des stalactites — toujours aux antipodes avec “Spanish Sahara”. Ce dernier titre est stupéfiant. Long en bouche de six minutes, déroutant d’abord par son parti pris contemplatif : le temps se fige, la batterie est quasi inexistante, ce n’est qu’à son dernier tiers que l’instrument névralgique du groupe refait surface, sans débordement pyrotechnique mais tendu, bravant un blizzard atrabilaire saisissant.

En grand manipulateur, Foals maîtrise toujours le crescendo et l’applique dans ses nouvelles explorations atmosphériques. L’agencement des constructions instrumentales, si moins nerveuses, a gagné en fluidité et ordonne des montées d’adrénaline savamment orchestrées (impressionnante déferlante post-rock sur l’ultime “What Remains”). Chose étonnante, malgré la tentation du casse-tête dans ses structures, Foals se garde bien d’emprunter des chemins hermétiques. L’émotion prime avant tout. Elle s’aiguille du chant de Yannis Philippakis, plus incantatoire que pop, et non dénué de magnétisme.

Avec ce disque, dont on se doit de ne rentrer qu’en immersion totale, Foals nous ouvre à un nouveau champ d’investigation sonore, original et hypnotique. Cette fois, Total Life Forever va mettre tout le monde d’accord.

– Le site officiel

– Voir le clip « Spanish Sahara :