Rencontre avec le leader du groupe britannique, Yannis Philippakis, dont le cinquième et revigoré album,  Everything Not Saved Will Be Lost, est un des disques les plus attendus du moment.


Tremblez bonne gens ! La machine implacable Foals revient frapper un grand coup. Et plutôt deux fois qu’une. Quatre ans après la semi-déception What Went Down, Foals est bien décidé à remettre cette année les pendules à l’heure math rock. Le groupe britannique sort cette semaine l’épatant  Everything Not Saved Will Be Lost, première partie d’un diptyque dont le suite est attendue cet automne.

Yannis Philippakis écrase une énième cigarette. Après chaque entretien avec un journaliste, soit en moyenne toutes les demi heures d’une longue journée, le leader du groupe britannique Foals sort brièvement fumer dans une cour située à quelques mètres de la pièce où ont lieu les entretiens. L’homme est d’apparence tranquille, mais ses yeux dégagent une détermination que nous n’avons pas souvent l’occasion de croiser. Avant d’enclencher le dictaphone sur la table, le musicien originaire d’Olymbos, sur l’île de Karpathos, me demande intrigué si je n’aurais pas des racines grec, en regard à… la pilosité de mes bras. Je lui affirme amusé que non, mais que des origines méditerranéennes pourraient  expliquer en partie cette nature. Grand sourire de décontraction mutuelle.  

ENTRETIEN

Pinkushion : Deux ans en arrière, le bassiste Walter Gavers a quitté le groupe. Vous avez décidé de ne pas le remplacer et de rester sous forme de quatuor.  Je suppose que ce fut une des épreuves les plus difficiles que le groupe a dû traverser depuis ses débuts.

Yannis Philippakis : oui, cet événement a perturbé l’alchimie du groupe. Mais comme beaucoup de perturbations, elles mènent à quelque chose de différent. Nous avions le sentiment que nous avions besoin de changement. Sur un plan personnel c’était triste évidemment, nous sommes amis – et nous le sommes toujours. Nous avons passé tellement de temps ensemble, ce fut comme une rupture. Mais d’une certaine manière, je pense que ce changement fut bénéfique musicalement.

Personnellement, What Went Down m’a donné l’impression que le groupe était arrivé dans une position un peu trop confortable musicalement. Pour la première fois, on ne sentait plus de progression musicale, le groupe semblait se reposer sur ses acquis. Vous voyez ce que je veux dire ?

Oui, d’une certaine manière. What Went Down était en quelque un compagnon du précédent, Holy Fire, ces deux albums avaient la même ADN. On peut considérer que le saut effectué entre les précédents disques étaient bien plus grand. Pour What Went Down, Jimmy Smith (guitariste) et moi avions décidé de composer des chansons un peu plus conventionnelles, en utilisant des structures classique. On pensait que c’était le choix à faire pour avancer en tant que songwriters. Mais notre idiosyncrasie…(silence), certains paradoxes qui rendent intéressant notre groupe n’ont pas été suffisamment soulignées à l’époque.  Le désir général sur ce nouvel album était de ne pas suivre  ce chemin plus loin. C’est une des raisons qui nous a poussé à nous auto-produire et passer plus de temps en studios, en nous autorisant à se perdre et de ne pas avoir d’influence extérieure qui pourraient nous détourner.

Vous n’aviez pas déjà goûté à l’autoproduction ? Si je ne me trompe, votre premier album, Antidotes avait été produit en partie par le groupe, l’autre par David Sitek (TV on the Radio).

En fait, c’est Dave Sitek qui avait produit notre premier album, mais nous avions rejeté son mixage. Comparé à Antidotes, ce fut cette fois définitivement un vrai travail de production de notre part. C’est la première fois que nous avons le sentiment d’avoir produit un album de bout en bout. J’étais pourtant réticent au départ. C’est notre batteur Jack Bevan qui a poussé cette idée… mais je savais que ce serait beaucoup de travail pour moi. J’avais déjà  ma responsabilité de songwriter, et je devais désormais aussi m’assurer que la production serait correcte. J’ai alors travaillé comme un fou pendant un mois. Mais ce fut payant, nous avons au final deux albums avec du matériel qui en valait la peine. Nous sommes vraiment très fier du résultat, c’était impératif de travailler de cette manière. On a débouché sur quelque chose de frais, de nouveau. J’aime aussi travailler en studios, avoir un grand projet, le challenge me motive. J’apprécie énormément ce processus.

« On a fait un bout d’essai pendant deux semaines avec Brett Shaw, puis finalement, nous sommes restés avec lui un an et demi. Nous avons un peu capturé sa vie »

Vous avez été assisté en studio par l’ingénieur du son Brett Shaw (Florence and the Machine, Daughter, Rufus Wainwright…) qui co-produit l’album. Pourquoi avoir collaboré avec lui ?

Nous vivons dans la même banlieue au sud de Londres. Après la pause consécutive à What Went Down, il fallait que j’écrive à nouveau. Brett Shaw possède son propre studios dans le quartier de Peckham. Il dispose également d’espaces qui permettent de se couper du monde et composer, idéal pour renouer avec l’inspiration. Et c’est à dix minutes à pieds de chez moi. J’ai donc loué un de ses espaces pour commencer à composer. Une fois que nous avons réuni quelques fragments d’idées, nous avons travaillé directement en studios, plutôt qu’habituellement dans la salle où répète le groupe. On a fait un bout d’essai pendant deux semaines avec Brett Shaw, puis finalement, nous sommes restés avec lui un an et demi. Nous avons un peu capturé sa vie (rire). On voulait travailler dans notre banlieue, rester connecté avec Londres, sentir qu’on enregistrait un disque dans cette ville.

Vous voulez dire que ce disque a été influencé par la banlieue londonienne?

Pas nécessairement. On dira plutôt que ce disque est, d’une manière générale, en contact avec la Grande-Bretagne. Le fait d’être près de chez nous autorise à prendre davantage de temps. Le précédent album avait été enregistré en France, le calendrier était plus serré. Avec What Went Down, nous avions une idée bien précise, et c’est devenu une liste contraignante de choses que nous devons faire. Pour ce nouvel album, c’était tout le contraire. C’est notre manière de procéder depuis le début, le nouvel album est une répulsion magnétique au précédent.

Musicalement, aviez-vous quelques disques ou influences en tête lors de l’enregistrement de l’album ?

Je ne pense pas que nous nous inspirons tant que ça, du moins directement, de la culture contemporaine. J’écoute essentiellement du hip hop et de la musique folk grecque. Je pense que c’était davantage une question de désir interne sur ce que nous voulions atteindre. Il s’agissait plutôt de reconquérir l’aspect primitif de notre songwriting avec des structures de chansons brutes. Et en même temps, travailler sur la diversité, faire quelques chose qui sonnait riche, aussi bien dans le détail qu’au niveau des textures.  

Avec Jimmy Smith, vous êtes deux guitaristes dans le groupe. On sent pourtant que la guitare est moins aux centre des préoccupations sur ce nouvel album. Vous utilisez davantage de claviers et d’éléments électronique.

Je pense que c’était en partie dû au fait d’être longtemps restés en studios. Nos rôles sont devenus moins définis. J’ai joué de la basse, Jimmy a passé beaucoup plus de temps sur les claviers que d’habitude. J’ai passé aussi pas mal de temps sur les claviers, ainsi que la production, comme je vous le disais.  Autre point qui mérite d’être souligné, parmi les 20 chansons que nous avons sélectionnés, celles de l’album numéro 2 seront d’avantages dominées par le guitares. Et naturellement, lorsque nous avons séquencé l’album, nous l’avons divisé en deux différentes palettes. Si les guitares sont bien davantage soulignées sur le deuxième album, le résultat n’est pas non plus si noir et blanc que que ça. Je veux dire par là qu’il y a aussi des textures électronique sur le second album – et il y a aussi des guitares sur l’album numéro 1 – , seulement elles sont plus subtiles, moins lourdes. Mais il n’y a aucune volonté de soustraction, c’est juste que notre façon de travailler en studios est devenue plus espiègle.

« J’ai toujours trouvé que les double albums peuvent être trop contraignants : il y a trop d’informations sur un seul disque »

Arrive maintenant la question du bassiste. Allez-vous aussi continuer sur scène en tant que quatuor ?

Non, nous allons recruter quelqu’un. Ce sera un musicien qui nous accompagnera sur scène mais ne fera pas parti du processus créatif du groupe.

Pourquoi avez-vous choisi de sortir deux albums issus des même sessions studios à six mois d’intervalle au lieu de les réunir sur un double album ?

La chose la plus importante pour nous, c’était de tout sortir. Nous pensions que créativement ce serait plus intéressant de séquencer deux albums séparément, plutôt que de lier “mathématiquement” les chansons. Ces chansons n’avaient pas besoin de toutes sortir en même temps. D’une part, parce que j’ai toujours trouvé que les double albums peuvent être trop contraignants : il y a trop d’informations sur un seul disque, c’est facile pour l’auditeur de saturer. Il peut y avoir des chansons incroyables qui peuvent être éclipsées par cette quantité imposante. C’est un peu comme une charge un peu trop lourde. L’idée ici était de sortir l’album numéro 1, le laisser vivre pleinement, qu’il s’écoute comme un album normal. Lorsque l’album numéro deux sortira, il n’empiètera pas sur le premier. Il est important de donner un peu d’espace à chaque partie du travail.

Autre point, c’est que nous allons beaucoup tourner prochainement, le fait de sortir l’autre partie un peu plus tard va nous donner du sang frais : on pourra changer le show, le renouveler plus facilement. Car de nos jours, l’appétit pour la musique est devenu tellement vorace, instantané. Cela nous permet aussi d’attirer l’attention des gens deux fois au lieu d’une. La vie d’un album est devenue trop courte, parce qu’elle a été dévaluée.

Il y a un très beau court instrumental sur l’album intitulé “Surf Part 1″. Je suppose que la suite du morceau figure sur le prochain album. Sera-t-il  un instrumental ou une chanson ?

Oui, vous avez raison et ce sera une chanson (rire). Nous avons filmé une vidéo pour le morceau “Exits”, et nous avons réalisé quelques petits trailers à partir de ce film et de cet instrumental. C’est en fait une portion d’une chanson intitulée “Into the surf” qui figure donc sur l’album 2. J’étais toujours en train de séquencer l’album 1, et je me disais que ce serait un super détail que de former un lien musical entre les deux disques. L’idée semblait juste, et je pense que cela aidera le voyage entre les deux albums. Mais je suis content que vous aimez ce titre, c’est en fait mon morceau préféré. C’est à mon avis une des meilleures choses que nous ayons jamais faite.

Les paroles de l’album sont dans l’ensemble assez sombres. Vous dites être influencé par le contexte international en général, qu’il soit politique, social, environnemental… On sent aussi la peur du futur qui revient beaucoup dans vos paroles.

C’est intéressant ce que vous interprétez, sur la peur du futur. Je pense que cet album évoque davantage un mécontentement sur le présent que sur la peur du futur. Il y a un désir de faire un album plus universel, ou plus communicatif. Je veux dire par là que c’est vraiment tangible ce dont je parle cette fois. Il y a une sorte de méditation sur les thèmes explorés. Je pense aussi que musicalement, les chansons doivent supporter la pression de paroles plus lourdes. Il y a un intéressant contraste entre une chanson comme “In Degrees”, taillée pour le dancefloor, mais dont les paroles traitent de l’inhabilité de communiquer entre nous et de se socialiser dans une même pièce.  

Lorsque j’écrivais les paroles de l’album j’étais le soir dans un pub, avec mes écouteurs à l’oreille. Les paroles dictaient ce que je pensais par rapport à la Grande-Bretagne, pas spécifiquement par rapport au Brexit, mais dans l’idée que je me sentais connecté à mon environnement lorsque j’écrivais cet album. Je ne me sentais pas comme un moine coupé du monde, je me voyais plutôt comme faisant partie intégrante de la fabrique, du contexte.

Il y a cette chanson sur l’album “On The Luna”, où vous semblez nostalgique. Vous y mentionnez aussi Trump.

Il est vrai que cette chanson est conduite par un contraste entre l’innocence perdue individuellement, mais aussi peut-être dans la société. Parfois, quand je suis dans des grandes villes comme Londres ou Paris, on sent le poids du passé, on sent que ces villes ont été construites par nos ancêtres il y a des centaines voire des milliers d’années. Tout ce formidable patrimoine me donne aujourd’hui l’impression que nous vivons dans une relique. Les villes sont en déclin, et tout ce qui nous reste c’est Trump sur Instagram (ndlr : ce sont les paroles tirées de la chanson). En Angleterre, les boutiques ferment dans les grande rues, les villes commencent à se  dépeupler, les loyers sont trop chers. Nous vivons dans l’ombre d’une grandeur passée. Et je me sens déçu par la modernité. La technologie était considérée comme utopique avant, mais on a depuis abandonné la notion de progrès. J’éprouve une profonde déception.

Mais avez-vous toujours de l’espoir ?

Oui, car je pense que les êtres humains sont incroyables, nous sommes de fascinants paradoxes vivants. Nous avons réalisé des choses incroyables, inimaginables dans le passé et nous sommes de fascinants animaux. Mais cela requiert un engagement actif, une capacité de comprendre ce qui ne va pas et comment l’améliorer. Et vous ? vous sentez-vous aussi abandonné ?

Et bien… je pense qu’on est foutu, mais qu’il y a de l’espoir (rires), c’est dans la nature humaine. J’ai des enfants et j’ai du mal à les imaginer dans 50 ans payant les conséquences de tout cela. Mais en même temps, je veux rester positif.

C’est cela. L’espoir est dans la jeunesse.

 

 

Foals  Everything Not Saved Will Be Lost (WEA)

www.foals.co.uk

En concert lBataclan, Paris (complet), le 23 août à Check In Party, aérodrome de Guéret-Saint-Laurent (Creuse), le 25 à Rock en Seine, Parc de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine).