À l’occasion de la sortie de Before Today, retour sur le parcours discographique tumultueux d’Ariel Pink, histoire de faire prendre l’air à un ou deux trésors méconnus.


Dans la production touffue d’Ariel Pink, il est parfois difficile de savoir où mettre les pieds. Car bien avant la grande échappée chez 4AD, l’obscur garçon en était quand même réduit à sortir sous le manteau ses productions à coup de CD-R et autre mix-tapes inaudibles.
Sans un coup de pouce du destin et les oreilles de lynx d’Animaux Collectifs bienveillants où donc serait encore en train de végéter Ariel ?
Car, si aujourd’hui, le Californien a gagné en visibilité somme toute relative, il ne faudrait pas pour autant passer sous silence ses productions antérieures, autant d’actes de bravoure gravés à même la piste analogique, dans le ventre d’une cave quelque part là-bas, à L.A.
Seul contre tous, la foi chevillée au corps.
De ces années, beaucoup de choses éparses, beaucoup de productions échevelées — un rien foutraques — sont regroupées sur de nombreuses compiles (disques ?) bâtardes.
Alors, faisant fi des raccourcis qui ne verraient dans cette musique seulement l’éloge de l’amateurisme et de l’approximation érigé en dogme absolu, revenons quelques instants sur les premiers pas de ce musicien dont la petite caboche, constamment en surchauffe, turbine sec depuis de nombreuses années. Une musique de plaies et de bosses, brute de pomme !

doldrums.jpg
The Doldrums (Paw Tracks – 2004) :

Probablement le plus identifiable. Premier disque d’Ariel Pink à sortir de l’ombre et alors première signature de Paw Tracks, label créé à l’initiative des membres d’Animal Collective, The Doldrums est un album qui balaye un spectre très large, allant du Girl Group à paillettes « Among Dreams », au post-punk le plus sombre et tricard.
Si on ajoute à ça un Ariel Pink pas frileux, qui se prend parfois pour le Thin White Duke — à l’instar de ce « Gray Sunset » qui n’aurait pas fait tapisserie sur un Bowie période Berlinoise — on tient là une belle œuvre cryptée, voire impénétrable. Certains appelleront ça aussi un O.V.N.I.
Là-dessus il faut compter sur « Envelopes Another Day » et « Strange Fires » qui à elles seuls savent glacer les os et griffer l’échine là où il faut. Sans oublier l’indépassable « For Kate I Wait », qui laisse en souvenir à tous ceux qui se sont un jour risqués à regarder le clip, quelques douleurs aux yeux.
Cri primal, ziguiguis sonores, voix d’outre-tombe et jappements apeurés, Ariel Pink fait sa grande lessive à la main (il joue de tous les instruments, même mal, ce n’est pas grave !) et évacue nombres d’influences et d’obsessions, notamment concernant ses anciens amours pour The Cure et le rock gothique. Soit au final le disque réfrigéré d’un type complètement déconnecté des modes et du monde, toujours pas redescendu des sommets où il a, à l’époque, élu domicile.

scaredfamous.jpg
Scared Famous (Human Ear Music – 2007) :

Dévoreur de mélodies camées à la Brian Wilson, chapardeur de chœurs shootés piqués aux héros pop du grand Ouest et du grand n’importe quoi en général,
Scared Famous, excroissance fluorée, affole légèrement.
Au premier coup d’œil, Ariel Pink fait flipper.
Moche à regarder et à écouter, sa pop carnavalesque fait frémir. On aurait franchement envie de fuir plutôt que de se coltiner cette masse informe, boursouflée, prête à dégueuler partout ses hymnes en plastiques recyclés, ses guitares en toc et ses airs disco à côté des clous. Rien que d’essayer de se farcir « Politely Declined » avec cette voix mi travelo-mi couineuse, et ces saillies sur-aiguës qui sifflent dans les oreilles un léger début de mal de tête, on préfèrerait décliner l’offre… poliment, justement.
Sauf, qu’on ne le fera pas parce qu’en grattant un peu la surface, on s’apercevra très vite que l’engin écrit de la pop grande classe. De la vraie de vraie.
Et puis rien que pour « Howling At The Moon », titre funky-cheap-tarte à la crème entre Bambi sur « Don’t Stop Till’ You Get Enough » et Supertramp des sous-sol, on misera bien sans mal trois piécettes sur ce disque, histoire de jouer les curieux.
Gare, quand même, qu’entre deux délires branques ne se trouvent toutefois tapies dans un recoin une « Girl in a Tree » et « The List (My Favorite Song) » qui ne nous laissent muets et un peu bébêtes avec plus grand-chose à objecter.

wornCopy.jpg
Worn Copy (Paw Tracks – 2005) :

Ariel écrit tantôt des petites mélodies de poche à emporter au vent, avec un coca et une frite, tantôt des comptines complètement folles à lier. C’est gras, ça tâche, on s’en met partout avec un appétit goulu, et même qu’on en reprendrait bien une deuxième plâtrée. On sait que c’est mauvais pour la santé (mentale) mais le truc c’est qu’on en est jamais rassasié.
« Creepshow », avec sa voix moite et dégénérée de pervers pépère, bruitages de films de cul à l’appui, tapine sévèrement du côté du cortex pré-frontal.
Dans le même genre, « Cable Access Follies » est une dinguerie au tout venant, branchée sur du haut voltage — directement reliés à la cervelle. Les fils se touchent, provoquant irrémédiablement un court-circuit et un début d’incendie dans la boîte crânienne. Autrement dit, il s’agit bel et bien d’un pétage de plomb sans commune mesure. Autre grand moment : « Trepanated Earth ». Presque onze minutes — au bas mot — de digression sonore . Il doit bien y avoir trois ou quatre titres en un seul là-dessus. Bref, pour résumer, Ariel Pink ne se calme toujours pas et c’est tant mieux pour nous.

houseArrest.jpg
House Arrest (Paw Tracks – 2006) :

Le plus abordable ? Probablement celui que l’on conseillerait d’emblée à un néophyte. Attention, les notions « facilité d’écoute » sont toutefois relatives chez Ariel Pink. Il y a quand même « Gettin’ High in the Morning » dessus, un titre vénéneux où Ariel raconte qu’il plane haut dès le matin — et qui fait penser qu’il ne fume pas que des cigarettes qui font rire…
Mais on pourra avancer sans mal que cet album est probablement le moins farfelu de sa production. Peut-être celui dont on tombe le plus facilement amoureux, aussi, et qui permet de se rendre enfin compte à quel point Ariel Pink est un songwriter talentueux. Pour se faire une idée de la chose, on s’en ira écouter « Interesting Results ».
Le plus « West Coast » de ses albums est rempli de petites chansons qui carillonnent et sautent à pieds joints par-dessus sur les « Wall Of Sound » mouillés, bâtis autrefois par des garçons de plage.

loverBoy.jpg
Loverboy (Ballbearings Pinatas – 2006) :

Dans la même veine que les autres — traduisez par là, un vrai casse-tête pour disquaires — Loverboy se voit quant à lui affublé de quelques collaborations.
Le titre « I Don’t Need Enemies » tout d’abord, crédité au nom de Holy Shit, autre groupe fréquenté par Ariel Pink à l’époque en trio avec Matt Fishbeck et Christopher Owens (Girls).
Et « Loverboy », écrit par l’ami John Maus, chanteur- prêcheur beau gosse dans des églises pop baroques et à d’autres heures aussi… philosophe.
Il est souvent reproché à Ariel Pink son manque de soin dans ses enregistrements, un son asphyxié et une approche trop approximative des choses. Pourtant, on imagine vraiment mal comment ces titres pourraient sonner autrement. So what ? Tant pis pour les mécontents qui tireront la tronche. On rétorquera à ceux-là que le charme de ces productions n’émane pas seulement de leur aspect peu encourageant, mais résulte d’un vrai choix esthétique assumé mordicus pour le pire et le plus souvent, aussi, pour le meilleur.

Odditties-Sodomies-Vol--1-by-Ariel-Pink_s-Haunted-Graffiti_QLQz07Aga4gx_full.jpg
Oddities Sodomies vol 1 – (2008):

Oddities Sodomies s’apparente quant à lui plus à des chutes de chambre à coucher et autres expérimentations qu’à un réel album. L’occasion de trouver dessus beaucoup de versions mal attifées et primitives de chansons réutilisées plus tard, comme « l’Estat » ou encore un titre non terminé à l’époque, intitulé « He’s Good », ébauche de ce qui deviendra dans sa forme finale « Butt-House Blondies ». Ces titres se trouvent aujourd’hui tous deux inclus sur Before Today.
Parmi les brouillons, surnagent quand même quelques perles comme « Suicide Notice », « I Wanna Be Young » ou le solaire « Fantasma ». Toutes trois auraient plus que méritées un coup de projecteur supplémentaire. Le disque se termine sur le petit air de boite à musique qu’est « Something Isn’t Something », une bien jolie chose à contre-courant de l’idée que l’on se fait généralement de la musique d’Ariel Pink. Preuve que dans la discographie du Californien, il faut savoir parfois dévorer jusqu’à la moelle sa pop brûlée pour en goûter les meilleurs sucs.

Pyrotechnicien de la pop US, s’amusant des transversalités qui travaillent de part en part son art, Ariel Pink a été, et demeure aujourd’hui encore, tout au long de sa discographie, un artiste résolument inventif et passionnant.
Sa musique deviendra peut-être moins intéressante lorsque que celle-ci, un jour, sera devenue adulte. Pour le moment, Ariel est un gosse qui s’amuse de tout ce qu’il trouve. Alors, laissons le plus que jamais à ses jeux.

– Lire la chronique de Before Today (2010)

– Lire notre entretien avec Ariel Pink