Les Vaselines repartent bille en tête jouer leur pop increvable sur un disque exempt de toute toxine botulique. Un dernier tour de piste en forme de bras d’honneur servi par ces éternels sales gosses de l’indie pop canal historique.


C’est bien connu, on ne change pas la recette d’une équipe qui gagne. Même une équipe qui n’a pas chaussé les crampons depuis longtemps. Après deux bonnes décennies d’absence voilà donc le glorieux « come back » des héros écossais, plus que jamais en odeur de sainteté depuis que l’apôtre grunge de Seattle Kurt Cobain s’est évertué, quinze années plus tôt, à les canoniser tant bien que mal — unplugged ascétique à l’appui — auprès d’un public pré-pubère, à l’époque pas encore très réceptif à la chose.

Les Vaselines, cet obscur groupe de Glasgow jusqu’alors détenteur d’un seul et unique album — l’impérissable et bien nommé Dum-Dum, une collection de vignettes binaires ânonnées mécaniquement par deux gamins frondeurs –, un faux dur à cuire et une jolie poupée, respectivement Eugene Kelly et Frances McKee. Un vinyle édité à l’époque quasiment sous le manteau par l’ami Stephen Pastel (The Pastels), alors co-fondateur du mini label 53rd and 3rd, qui, par manque évident de moyens, dut, quelque temps plus tard déclarer, forfait et déposer le bilan, atomisant avec lui, dans la foulée, les maigres espoirs de gloriole des Vaselines. Leurs chansons destinées à être rééditées un peu plus tard chez Sub Pop sous la compile The way of The Vaselines, donneront malgré tout au groupe une seconde chance de se faire connaître. Trop tard, les carottes étaient cuites et l’histoire déjà consommée de longue date. Clap de fin.

Après quelques reformations fortuites pour des occasions aussi diverses que variées (anniversaire des 20 ans de Sub Pop, invitation à jouer au Primavera Sound de Barcelone…) et sentant tout à coup le vent tourner en leur faveur, revoilà donc des années plus tard, en 2010, un nouvel album des trublions, Sex with an X. Avec quelques cheveux grisonnants aux tempes, mais une énergie aussi intacte et vierge que celle d’une jeune mariée la première nuit de ses noces. Aidés des membres de Belle and Sebastian, Stevie Jackson, Michael McMaughrin et Bobby Kildea, les Vaselines n’ont toujours pas mis d’eau dans leur vin, mais y ont plutôt ajouté quelques gouttes de whisky malté vieilli en fût de chêne. Ils envoient toujours le bois comme à l’époque, sans faire plus de chichis que ça. «Rock and roll is here to stay».
Exercice pratique : écoutez Dum-Dum dans une oreille, puis enchaînez ensuite avec Sex with an X. Si vous percevez une différence, il vous faudra rapidement consulter.

Le disque s’ouvre sur un chant d’enfant, une comptine mignonne. Il annonce la couleur : les années passées n’ont eu aucune emprise sur le groupe et c’est reparti comme au bon vieux temps. Les guitares de « Ruined » fusent et se cambrent, et tandis qu’une batterie stakhanoviste fait des roulés-boulés, Eugene et Frances unissent leur voix sans s’essouffler pour accompagner ce monolithe grungy jusqu’à son terme. Et lorsque c’est fini, ça recommence. Deuxième titre « Sex With An X », jeu de mot potache pour cet ex-couple uni dans une pop song qui virevolte sur quatre phrases. «I feel so good… You look so right… let’s do it again…». Un vocabulaire d’école primaire, confondant de simplicité, pour un titre dénué de toute posture ou volonté d’imposture. Une crétinerie sublime qui frôle la perfection. S’il existait par le passé « Molly’s Lips » et « Son of a Gun », il y a désormais « Such a Fool ». Lorsque l’on prête l’oreille à « Turning it On », on pense à « Rory Ride me Raw ». Tout se confond et se dilue, circonscrit dans un perpétuel mouvement spatio-temporel. Les Vaselines reprennent donc les choses exactement là où ils les avaient laissées la dernière fois, jouant une pop spontanée et immaculée qui, par moment, pourtant, finit également par atteindre ses propres limites. Peut-être un aveu exprimé à demi-mot de la part du duo de ne pas savoir se dégager du fardeau un rien encombrant de leur statut de « groupe culte ». Ou tout simplement une impossibilité à passer à autre chose.

La musique des Vaselines pourrait finalement être entrevue comme l’antithèse parfaite de celle des Pastels. Deux groupes pourtant jumeaux à l’époque, évoluant sur la même scène et dont les membres passaient sans difficulté d’une formation à l’autre.
Car, si les Pastels ont su, progressivement, au cours de leur rachitique discographie, abandonner les guitares abrasives en filtrant et tamisant leur son, choisissant de le nourrir sans cesse d’influences diverses (d’Ennio Morricone, en passant par le jazz ou le rhythm and blues) afin d’arriver finalement sans trop de douleur à l’âge adulte, les Vaselines, quant à eux sont toujours, 20 ans après, sur le même territoire, à ronger le même os, sans que jamais pour autant leur réputation dûment acquise ne s’en trouve ternie.
Si une chose reste certaine, en effet, c’est que la musique des Vaselines n’était pas mieux « avant ». Elle est juste aujourd’hui tout bonnement « pareille ». Une pop alerte et vivace possédant tout sauf l’odeur du formol ! Grâce à Sex with an X, les Vaselines refont les comptes, et les bons. Les années 80 avaient certainement un goût amer pour Eugene Kelly et Frances McKee. Il est d’autant plus normal, pour ce groupe qui n’avait alors pas droit de cité en haut de l’affiche — « I hate the 80’s » –, d’aujourd’hui savourer pleinement ce renvoi d’ascenseur tardif, cette reconnaissance acquise à la force du poignet.

Pour la beauté du geste, et un peu pour la déconne, les Vaselines sont de retour. Mais aussi, et c’est sûrement la raison la plus probable, pour l’amour de la musique.
Le duo de Glasgow nous est soudainement réapparu un beau matin pour un dernier baroud d’honneur, aux allures de révérence magistrale. Avant peut-être de s’éclipser définitivement sur la pointe des pieds, avec, en filigrane, ce message subliminal : « nous sommes toujours là, et nous sommes à nouveau prêt pour un tour ». Let’s do it again !

– site officiel

– A écouter : « Sex with an X »