Une tribune libre accordée à Thomas Mery, dont le second album Les couleurs, les ombres, vient de paraître cinq ans après A ship, like a ghost, like a cell.


Je me suis réveillé en ayant perdu le goût. La tête lourde, les
idées sombres. Je me suis réveillé en me demandant “mais
pourquoi fais-tu ça ?”
. Je ne savais pas à qui parler.

J’ai lu des choses comme je voulais les lire. J’ai lu “Qu’on
soit peintre, réalisateur ou musicien, c’est un métier
indispensable – et aujourd’hui complètement inutile – que celui de
chercheur.”
(Massimo Marchini alias Jean Bart in L’Oreille
Absolue
).

On me disait donc : “Va chercher !”.

J’ai posé les pieds par terre et ça m’a fait un peu moins mal
que la veille. Je t’ai conduit pour que tu partes, quai jaune,
échafaudages, feux clignotants.

Ça me remue tout ça, passer un D en E. C’est dangereux. C’est
nécessaire. Maintenant je le sais mais hier j’en doutais. A
tendre trop on casse, c’est ce que je me disais.

A travers la vitre sale on ne voit pas grand chose, à peine on
devine, mais à imaginer, à se servir du peu qu’on voit, on
découvre qu’on peut aller plus loin qu’on croit.

Ça tu ne le comprends pas, tu n’as pas envie de ça. Tu veux que
ça coule, que ça ronronne, tu ne veux pas qu’on te dérange.
j’en ris aujourd’hui mais hier j’en pleurais.

Alors je dis que je n’ai pas le choix ou plutôt je dis “Avance
!”
, si ce n’est pas ça, alors quoi ? C’est bête, hein ?
Éculé ou acculé ou les deux à la fois, fucked quoi !

C’est du verre noirci à la flamme, on ne voit rien, qu’est ce
que tu espérais ? Je te dis ça à toi mais surtout à moi. Ça
m’emmerde de ne pas pouvoir te le dire en face. Ou peut être que
ça m’arrange. Je me laisse emporter, tu comprends encore moins,
ou juste que je pose trop de questions et que ça t’emmerde.

Je ne savais pas à qui parler. C’est un mensonge. On m’a dit
écris ce que tu veux, alors je parle. Je modèle, je ré-arrange,
je passe du temps, je m’adresse. Je me dis, comprends-tu ? Je
laisse aller.

C’est une figure, une figurine, une petite figure, una figura
bella
, une posture, une idée d’être, une roue libre, une
cavalcade, un aujourd’hui c’est mieux que demain. C’est ne pas
remettre qui fait la différence. Et ça me fait extrêmement
plaisir de vous lire. Cette opacité que vous me reflétez je la
prends comme elle vient et je n’en fais pas toute une histoire, je
vous dis merci d’avoir été si bête et en premier je vous serre
la main, ça me fait du bien.

Tiens, je te vouvoie. Sûrement tu n’es plus le même et déjà
vous vous mélangez. C’est que bientôt vous serez un, je vous
aurais fondu.

Et ce n’est pas fini, ni maintenant, ni plus tard, c’est ce que
je vous écris. Je croyais ce matin que je n’en pouvais plus. Je
prouverai le contraire tout à l’heure, demain et le jour
d’après. J’en suis sûr maintenant.

Thomas Mery – Les couleurs, les ombres (Own records/ Differ-ant)

Site officiel
Image : Le Miroir, de Andreï Tarkovski