Le californien autarcique Jeff Martin délivre six années d’introspections, un disque vibrant quelque part entre The Lone Gunman et Alas.


Le voilà enfin sorti de ses collines de L.A, le solitaire Jeff Martin, ce cadastre vétéran du rock alternatif qui, depuis l’aube des années 90, repousse les frontières de son groupe état hors-norme, Idaho. Envisagé pendant un temps sous le nom Revoluta, ce nouvel album sera finalement intitulé You Were a Dick. On aurait préféré l’option-titre précédente, un peu plus seyante à l’idée que l’on se fait de cette musique, si chère à nos yeux. Toujours est-il qu’un détail d’ordre syntaxique nous interpelle : les phrases-titres étaient jusqu’à ce jour réservées aux compilations comme People like us should be stopped (2000) et We Were young and we Needed The Money (2004). Peu importe, Idaho avait déjà opéré sa Revoluta sur The Lone Gunman (2006), disque de transition pianistique. Si You Were a Dick verse, quant à lui, dans cette continuité, son jugement sur les guitares a été révisé. D’où peut-être ce titre… mais on s’égare.

Seul à définir les reliefs sinueux d’Idaho depuis Heart of Palms, Jeff Martin a amené son groupe slowcore vers un songwriting de plus en plus sophistiqué en forme de puzzle, ciselé de collages sonores rêches et méditatifs, donnant surtout lieu à des introspections bouleversantes (Levitate, Heart of Palms…) Durant la précédente décennie, le musicien californien a aussi exploré un autre mode d’expression artistique, le 7e art, en composant de plus en plus des bandes originales pour le cinéma et la télévision. Aussi, cette sensibilité se fond désormais dans l’univers d’Idaho, telle la brève séquence éthérée “The Serpent And The Shadow“, qui n’est autre que le titre du film qu’il a lui-même réalisé et dont il a composé la musique (ce dernier vient d’être sélectionné au festival de cinéma de Manhattan, ainsi que le Columbia Gorge Festival).

Jeff Martin
Du fait que l’enregistrement se soit étiré sur une période de temps conséquente, émerge un disque aux humeurs riches et fragmentées. Si on y décèle le même défaut que son prédécesseur – à savoir un tracklisting trop dense – on sait de toute manière que les albums d’Idaho ne s’apprivoisent pas facilement, et se méritent. En s’écartant de la cohésion d’un Alas ou Levitate, ces quatorze titres, aussi variés soit-ils, se rejoignent sur un point : son rayonnement contagieux. L’écriture se veut plus absorbée, faite de ces accalmies qui laissent entendre que l’on a appris à supporter ses démons. La colère rentrée qui habitait encore Heart of Palms s’est aujourd’hui diluée, laissant poindre de superbes ballades aux atmosphères contemplatives, semi-éveillées, celles du vague à l’âme des routes nocturnes au croisement de l’aurore (l’étonnant et presque soul « Weight it Down »).

On sait combien la voix de Jeff Martin peut-être renversante, elle l’est à plusieurs reprises ici, même dans ses chuchotements. Les compositions piano succèdent aux guitares (si) longtemps délaissées, voire négligées – les incroyables volutes de feedback contribuaient tout de même beaucoup au caractère si particulier du groupe. Aussi, réentendre la fameuse guitare quatre cordes et ses accordages sur l’acoustique « Structure », ou le va-tout électrique d’ « Up The Hill », est une bonne et revigorante nouvelle. Enorme surprise, l’enlevé « The Space Between » semble tout droit extirpé des vieux cartons slow-core.
Si, jadis, les lignes mélodiques de piano et de guitares avaient chacune interdiction d’empiéter sur les plates-bandes de l’autre (ou alors d’une manière ambiancée), You Were a Dick installe une zone franche entre les deux instruments, chacun complétant l’autre (l’incroyable « Impaler » notamment). Le morceau d’ouverture, qui donne son nom à l’album, signe d’ailleurs cette conjonction et se paye même le luxe d’inviter un sitar zen en second plan.

You Were a Dick s’impose d’évidence comme l’album le plus ouvert d’Idaho. Certes, Jeff Martin a déjà composé des pop songs, mais celles-ci recelaient toujours un accord « faux », comme pour briser cette harmonie trop sereine. Ainsi, You Were a Dick est un disque « pansé », celui d’un musicien chaotique à l’écriture éveillée, qui a su rester en phase avec sa vision si peu ordinaire. Ce retour à la lumière se place sous de bons auspices.

En vidéo, Idaho – « A Million Reasons  » :

‘You Were A Dick’ est disponible en avant première sur le site du label Talitres, agrémenté de titres inédits