Premier album pas commode d’un trio féminin londonien, pour tous ceux qui souhaitent quitter les parcours balisés du rock domestique.


Un groupe plutôt pénible a récemment récolté des lauriers en jouant à touche pipi dans le train fantôme. Son nom : Salem. Usurpation !
Les vraies sorcières sont là et, en quelques tours, vous brûleront le gosier :
Astrud, Jess et Amy ne jouent pas le jeu. Ni de la séduction, ni de la facilité, encore moins de la vulgarité. Sur les photos elles font un peu la gueule, à l’image de leur musique. Des chansons spectrales, qui vivent parmi les ombres. Parfois, même pas des chansons, juste des fossiles ; ou alors des souvenirs de chansons qui n’ont jamais existé. Parfois même pas chantées, juste parlées.

L’album débute par un morceau nommé “In Her Light” ; lumière de ténèbres aux reflets mordorés. Le rythme ne tient pas en place, la voix se fait prêtresse. On se sent d’emblée pris dans une toile d’araignée. Ce disque est un piège. Et ça fait du bien d’être malmené, d’être attiré et repoussé, réchauffé et refroidi à la fois. De ne pas savoir sur quel pied danser. D’ailleurs, la musique de Rayographs danse comme le nain de Twin Peaks – référence avoué du clip illustrant “Space Of The Halls”. Une chanson qui nous avait manqué jusque là, sans qu’on le sache. À la moitié du morceau, tout se ralentit, pour repartir dans un cauchemar d’échos stroboscopés. Bob est à nos côtés. Ah, ce slide de guitare pernicieux, infernal comme du Mazzy Star mazouté, alors que les voix se répercutent sur des murs suants. Ça poisse et c’est bon.

Les hululements de “Providence Rhode Island” ne rassurent pas. D’autant plus que guitare, basse et batterie lancent un concours de psychopathie. Le morceau se termine comme si elles en avaient oublié l’issue.
“My Critical Mind” tourne à la messe noire. Puis “3 Times” simule d’abord une certaine normalité, avant de se laisser couler à pic. “Falconberg Court”, c’est la psychiatrie à domicile, un mantra vaudou aussi calme que perturbé, une dérive rêvée. On n’ose ensuite évoquer “November”, tellement il trempe dans un psychédélisme moite et abscons. “Cartwheels” retrouve une structure plus classique, même si toujours habitée par les esprits tournoyants de l’autre rive. Et “Marazion” fonce tête baissée dans le bayou, magnifié sans s’embourber. Enfin, “You Are Made Of Glass” s’appuie sur un piano en cascade perpétuelle, sereine et obstinée. Là aussi, on croit entendre un négatif de morceau.

«Les rayographies sont le résultat de l’action directe de la lumière sur le papier sensible. Tout objet interposé entre le source lumineuse et le papier laisse son empreinte : là où la lumière a pu se poser, elle a noirci le papier ; partout ailleurs, celui-ci est resté blanc.»[[Man Ray rayographies, Emmanuelle de l’Ecotais, ed Léo Scheer, 2002.]] Utilisé notamment par Man Ray, ce procédé, qui permet de réaliser des photographies sans appareil,
trouve, dans la musique d’A.J.A., trio laissant libre cours à l’impression, son écho parfait.

On peut aussi dire que Rayographs, c’est être déçu en bien. Vous en attendiez plus, et bien non. Ce sera sec et mal fichu, nauséeux, âpre et contrarié. Ce sera finalement parfait ; lourd, hypnotique, insaisissable. Sans généalogie repérée. Si, au fond du garage – le style – ou dans la cave – quand Nick rimait avec gothique. Ces trois filles nous offrent le goût du danger, le vertige au bord du précipice.

Le clip de « Space Of The Halls » :