Secret bien gardé de la scène rock alternative parisienne, Maison Neuve sort enfin son premier album. « Joan » redonne ses lettres de noblesses aux guitares drues et emportées.


Ou pourra dire que Maison Neuve a pris le temps de se construire. Résultat, la batisse a du caractère. Nous vous parlions déjà voilà cinq ans de cette vibrante formation parisienne. Le déclic, pour nous, ce fut une première partie mémorable au Batofar qui nous avait définitivement fait chavirer et rallié à leur affranchie et noble cause (On ne citera pas la vedette américaine « In » du moment dont nos frenchies avaient littéralement volé la vedette). Après presque dix ans d’activité souterraine, Maison Neuve dispose enfin d’une distribution nationale grâce à la bonne étoile du label Talitres. Ce premier album, Joan, est un manifeste indie-pop à la tension contagieuse, garnie de guitares électriques tant brouillonnes qu’incandescentes -on avancera sous l’égide des Modern Lovers. Un tourbillon mélodique tragique et lettré. Porteuse d’hymnes rodés sur scène (le traumatisant « Au large de la ville », « Under Skies of Fire ») et autres fringantes bravades (le beau et solonnel « Lizzy in the Sea »), la voix grave et indolente de Guillaume Faure (prophète dans la langue de Shakespeare, à l’exception de deux titres chantés en français) prend d’abord à rebrousse-poil. Intrigante, elle se grandit et s’embrase au fil de l’histoire, pour finir par captiver son auditoire.
Il aura fallu du temps avant d’attendre ce premier album. Mais le résultat est là. Et pour reprendre un vieux slogan qui n’est plus en phase avec notre société consumériste mais sied ces flamboyants à ravir, les chansons de Maison neuve « sont construites pour durer ».

Le Maître de maison, Guillaume Faure nous commente JOAN, rejoint ensuite par le groupe pour une sélection de disques estimés tirés de leur collection personnelle.

YOU ARE MY PROPHET

Guillaume Faure : C’est l’histoire de raconter d’où l’on vient et de le porter, ce pays natal, comme un étendard un peu ridicule, un peu désuet mais essentiel. C’est le premier bagage. L’autre point cardinal, c’est l’amour. Et là, pas de mensonge, pas de compromis au rabais : l’amour, c’est une religion, une science occulte, un dieu secret.

THE WRONG CLASS

Ce que j’aime dans la France d’aujourd’hui, c’est qu’elle est certainement une des régions les plus métisses d’Europe. Malgré ses crises de « villagisme » aigus, on sent bien qu’elle sera, tôt ou tard, le Brésil du vieux continent : c’est un espoir fou, d’art, de culture…et de musique, bien évidemment. Une nouvelle Renaissance est en marche, j’en suis convaincu. Elle sera hybride, mélangée.

UNDER SKIES OF FIRE

J’ai été très troublé et attristé par les émeutes de 2005. J’ai soigné cette blessure en inventant une histoire d’amour sous les gaz lacrymogènes et les fumées des voitures en feu. Et ça va un peu mieux. Cette chanson me rappelle aussi un ami avec qui j’avais créé mon premier groupe de rock, à la fin du collège. Ce type, qui ne jurait que par les écrivains de la Beat Generation, était fasciné par la scène introductive de La Haine : la magnifique et lancinante chanson de B. Marley « Burning & looting » sur fond d’images d’émeutes. Moi, je comprenais pas trop à l’époque.

Maison Neuve, 2011

VICTOR

Disons que si, un jour, le monde s’effondre, j’espère pouvoir compter sur une lueur ancestrale de vie autarcique. Je sais à peu près l’endroit où j’irai me cacher : sûrement une forêt que j’ai repérée entre Rodez, Le Puy-en-Velay et Marseille.

SWEETSOUL

Est-ce qu’on ressent tous cette infériorité physique et morale par rapport à ses parents ? On se demande si on va vraiment pouvoir vivre sans eux. Sans cette tutelle bienveillante. C’est un sentiment qui doit, j’imagine, durer jusqu’à leur mort…Et au-delà peut-être ?

AU LARGE DE LA VILLE

Le texte est explicite. Jusqu’où peut-on aller lorsque sa progéniture devient un fardeau trop lourd ? J’adore les guitares de cette chanson. Elles bondissent. Surtout à la fin quand elles vont siffler à l’unisson dans les aigus.

JOJO

« Jojo » dit qu’il faut être très fort, ou inconscient, pour affronter les déceptions de l’âge adulte. Il y a toujours un moment où on prend peur. Ce moment où l’on se dit qu’on ne deviendra jamais archéologue ni cosmonaute. Mais bon, musicien, c’est pas mal. J’y croyais pas tellement au début. Et puis, petit à petit, le chemin s’est ouvert. Le paysage est encore presque vierge mais j’ai bon espoir d’y faire pousser une forêt.

HUMBLE HEARTS

Ceux qui souffrent beaucoup écriront de super chansons, tôt ou tard. C’est inéluctable. Par ailleurs, j’ai lu quelque part que certaines grandes Favelas de Rio-de-Janeiro, « Rocinha » notamment, étaient en voie de pacification sociale et de rénovation. Certaines seront (sont ?) vraisemblablement protégées au titre de patrimoine urbanistique carioca majeur. C’est excellent. Pour revenir à la France, je ne crois pas que le dynamitage des « barres » et des « tours » soit un remède efficace à la fièvre des quartiers « difficiles ». L’architecture est une cible facile. Vigneux-sur-Seine avait une des « skylines » les plus verticales et emblématiques de la banlieue sud de Paris : une demi-douzaine de tours d’habitation élancées y avaient été construites dans les années 60. C’était une avant-garde sidérante. L’héritage d’une époque résolument moderne. A chérir et protéger autant que n’importe quelle meringue hausmanienne. Mais le maire est en train de faire sauvagement disparaître ce patrimoine…D’autres décisions étaient possibles, plus respectueuses de l’histoire urbanistique et architecturale de ce quartier.

TOUCHED IN THE HEART

Je pense qu’il faut parfois savoir s’abandonner à la part d’innocence vierge de son cœur. Ce premier degré sentimental, manipulé avec mesure, sait être généreux : il ouvre de radieuses perspectives, colore la grisaille. C’est comme ça qu’on surmonte les névroses, le manque de sommeil, la médiocrité.

LIZZY IN THE SEA

Les quelques disques que nous a laissés Lizzy Mercier Descloux sont d’une grande beauté. Les chansons sont libres, sincères. Malheureusement, LMD est morte prématurément.

L’ATTRACTION TERRESTRE

Écrire en français est une vraie joie. Je me sens enfin libre avec ma langue maternelle…Quel soulagement. Je me sens plus intègre. L’anglais est une belle langue, subtile, musicale et tout et tout…Mais rien n’est plus satisfaisant qu’écrire un poème dans sa propre langue. Le français, ce sera un peu l’occitan ou le breton des années 2100. On se dit qu’elle ne va pas résister bien longtemps, cette langue déjà minoritaire. Alors, autant en profiter tant qu’elle est encore là, parlée, écrite, vivante.



Top 5 albums de Maison Neuve




Guillaume

Bruce SpringsteenNebraska

Vinicius de Moraes/Toquinho/Maria BethaniaEn La Fusa

Arnaud Fleurent-Didier Portrait du jeune homme en artiste

The Walkmen You and Me

Belle and Sebastian If You’re Feeling Sinister


Thierry

Françoiz Breut – 20 à 30 000 jours

The Go-Betweens16 Lovers Lane

PJ Harvey To Bring You My Love

Tricky Pre-Millenium Tension

Dirty Projectors Bitte Orca



Benoit

PavementSlanted & Enchanted

The SmithsThe Queen Is Dead

The Silver Mt. Zion Horses In The Sky

The KinksArthur

Weezer Blue Album


Johan

Alice In ChainsFacelift

Miles Davis Filles de Kilimanjaro

Hüsker Dü New Day Rising

Joni MitchellDon Juan’s Reckless Daughter

Neil YoungRust Never Sleeps


MAISON NEUVE – Under Skies Of Fire by TALITRES