« Il était une fois un monde merveilleux… », ainsi pourrait-on intituler chaque chanson du gentleman Brent Cash.


(English Version below)

Le songwriter d’Atlanta à la voix d’ange est ce qu’on pourrait appeler une espèce en voie de disparition, un esthète qui a décidé de vivre un rêve un peu fou : concevoir une musique romantique, d’un autre temps, celui de l’âge doré de la pop. Dans son monde dénué de cynisme, la Sunshine pop et les partitions de Burt Bacharach et Jimmy Webb seraient rois, et les chansons un privilège précieux qu’on se doit d’honorer, tant sur le plan de l’ambition symphonique que des « bonnes vibrations ». Accueilli sur le label indépendant européen Marina Records (Shack, The Pearlfishers, Adventures in Stereo…), son premier album How Will I Know If I’m Awake (2008) avait affolé les cercles inconditionnels de pop lustrée, merveille de raffinement – orné d’arrangements de cordes et de cuivres splendides qui poussaient très loin le souci du détail. À l’écoute d’un tel disque, on n’osait imaginer les heures, les jours voire les mois d’investissement (passionnel) pour aboutir à cette perfection.
Son deuxième album, How Strange It Seems, paru au printemps dernier, réitère cet enchantement. Un nouveau tour de force, qui se paye le luxe d’élargir la palette de styles du Gatsby de la pop tout en faisant varier les plaisirs (« I can’t Love You Anymore », incursion soul « Roots » façon Curtis Mayfield, ou la dimension opéra de « I Just Can’t Look Away ») . Flambeur magnifique, le géorgien ne semble pas compter lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre ses fantasmes mélomaniaques. Pour notre plus grand bonheur. Devant ce nouveau palier de sophistication, nous avons invité son architecte à commenter How Strange It Seems, chanson par chanson. Bienvenue dans la « Fifth Dimension » de Brent Cash.

Brent Cash : Je voulais prolonger ce que j’avais fait avec How WIll I Know If I’m Awake en travaillant davantage la musique, mais en simplifiant les paroles. Avec des textes très directs, facile à comprendre/ moins obscurs… et qui riment !
Merci à Paul et à tous les lecteurs de Pinkushion.

« I Wish I Were A Song »


C’est une chanson qui parle du fantasme… d’être la musique. Que se passerait-il si dans tous les endroits où vous vous rendiez (temporels et spirituels), vous étiez fredonnés et sifflés ? J’ai composé la toute première partie orchestrale (entre 00h01 sec -00h06 sec sur le CD) à l’extérieur, en milieu de matinée. Je rendais visite à mes parents à Cedartown, (Georgie), où ils ont vécu pendant un an. Finalement, ils n’y sont pas restés et ont déménagé plus au sud, en Géorgie. A partir de 00h07 sec dans la chanson, et jusqu’à ce que la guitare acoustique et le chant prennent le relais, cette partie a été écrite en une demi-journée alors que j’étais à Asheville, en Caroline du Nord. J’ai découvert plus tard que la ville située juste à l’extérieur d’Asheville, était celle où Bartok avait vécu pendant un certain temps pour fuir l’atmosphère bruyante de New York. C’est là qu’il a composé son « Concerto pour orchestre ». J’adore cette «petite échelle synchrone».


« It’s Easier Without Her »

Une chanson dont certaines phrases ne finissent pas nécessairement de manière symétrique avec la mélodie. Exemple : Dans le premier couplet, la mélodie est « terminée », alors que la fin d’une phrase un peu particulière (« With Our Different Wants And Different Needs ») n’est pas encore chantée. Elle débute dans la mélodie second couplet. Pour cette chanson, je voulais à l’origine un solo d’harmonica chromatique dans la veine de Stevie Wonder. J’ai cherché en vain sur internet et j’ai finalement posté une petite annonce dans un grand magasin de musique à Atlanta, un Guitar Center. L’annonce disait en gros « recherche joueur d’harmonica chromatique pour un solo en vue d’un projet studio / travail rémunéré. » J’ai n’ai eu qu’une seule réponse via Internet – un gars quelque part aux États-Unis qui disait ne jouer que du blues, pas dans le style « mélodique » d’un harmonica chromatique. J’ai alors abandonné cette idée (une des rares fois où j’ai dû « lâcher prise » sur ce projet) et décidé qu’un solo de clavecin avec bongos (!) ferait finalement l’affaire (ce qui, à mon sens, offrait une couleur étrange).


« I Can’t Love You Anymore Than I Do »


J’ai d’abord eu cette chanson dans la tête avec la voix féminine faisant la mélodie. Le rythme et l’accompagnement me sont venus en même temps, j’ai saisi le premier bout de papier qui me tombait sur la main pour griffonner des notes. Je me rappelle avoir écrit dessus « Lennon Sisters go Disco? » pour me remémorer de la sensation que j’avais en tête. Plus tard, j’ai décidé de confier la mélodie à de nombreux musiciens de l’orchestre, pour faire en sorte d’avoir rapidement un aperçu du morceau. Je l’ai alors donné au Cor d’harmonie, aux violons, à l’alto, au Fender Rhodes, etc. J’ai pensé que ce serait un agréable clin d’œil aux thèmes de télévision avec lesquels j’ai grandi. C’est donc un peu un hommage à ce genre. Quand j’écoute cette chanson, elle ne m’inspire que du bonheur. Elle me fait penser à des gens en train de s’amuser sur le quai, ou une virée en ville dans leurs voitures rutilantes.


« Just Like Today »


Ma chanson préférée de l’album. Elle évoque le fait de remarquer tout d’un coup les merveilles de la nature, de se rendre compte qu’elles ont toujours existé, et que vous ne n’avez simplement pas su les apprécier à leur juste valeur. Mais, si vous le pouviez…


« How Strange It Seems »


J’ai imaginé Anne Murray en train de la chanter (ndrl : chanteuse et actrice canadienne des années 70, connue pour ses duos avec Glen Campbell). Je pense juste qu’elle est beaucoup plus sympathique que les gens ne l’imaginent. Certaines chansons de son premier album sorti sur une major sont époustouflantes, comme « Someone Else Today » (ndr : sur l’album Honey Wheat & Laughter). A mes oreilles, cela ressemble à quelque chose comme « Something/Anything ». Et sa voix est si unique et décontractée. Nos avons un timbre similaire, tellement proche en fait que cela m’a poussé à chanter sur ce titre. Les paroles ne sont pas ironiques, et si vous écoutez la mélodie du violon sur la partie en fondu, la première moitié raconte « la légère douleur face aux échecs de la vie » (« slight sorrow at the failure to play life’s game« ), tandis que la seconde partie évoque « la victoire malgré tout » (« victory in spite of that« ).



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« Where Do All The Raindrops Go »


La vie est pleine de questions sans réponses, voici l’une d’entre elles. Peut-être que les scientifiques devraient-il se pencher dessus…


« The Heart Will Always Work Alone »


Avec les voix du South City Voices d’Atlanta. Une partie du processus d’enregistrement consiste à extérioriser des choses que l’on a toujours eu envie de faire. Je voulais puiser dans l’esprit de Love American Style (ndr : série tv US très populaire des années 70), mais je ne peux jamais exactement reproduire la musique de quelqu’un d’autre, ce qui, avec le recul, est peut-être mieux. Je trouve cette chanson un peu « sombre », mais quand vous commencez à sonder des personnes, vous vous rendez compte que peu d’entre elles entendent la musique de la même manière que vous, et qu’elles pourraient même entendre le contraire d’ »un peu sombre ». C’est ce qu’il y a d’extraordinaire dans la musique, ce que vous entendez n’appartient qu’à vous exclusivement.


« I Must Tell You Now »


Une chanson qui met tout à nu. Si vous cherchez l’amour, cela se mérite. Parfois ça fonctionne, parfois non. Parfois, lorsque cela fonctionne, vous regrettez après coup que cela ait marché. Et parfois lorsque cela ne fonctionne pas, vous êtes finalement heureux d’avoir échoué ! Il est peu probable que Slayer fasse une reprise un jour de cette chanson.


« Don’t Turn Your Back On The Stars »


C’est le vieil adage « joindre l’acte à la parole ». Le chanteur est amoureux de quelqu’un qui est passionné d’’astrologie, etc. Lui n’y croit pas, mais il consulte son signe astrologique et constate qu’il est compatible avec cette personne, d’après les signes. Mais l’être aimé ne l’a pas (ou pas encore) remarqué.


« I Just Can’t Look Away »


C’est une chanson qui à mon avis, « n’a pas besoin de se presser ». Elle coule à son propre rythme, entêtante. J’ai dû solliciter mon ami David Layman sur celle-ci, un super chanteur / compositeur, mais qui travaille aussi à l’opéra d’Atlanta. OK … le producteur qui est en moi fourmille d’idées folles, surtout lorsque vous réalisez tout ce qui est à votre disposition, et je me devais de lui demander, timidement … « ça vous dérangerait de poser votre voix d’opéra sur cette chanson ? » Et il s’est volontiers exécuté, même si un peu réticent à cette idée. Nous avons également utilisé plusieurs voix pour la fin en « climax » de la chanson, qui fera certainement plaisir à d’anciens paroissiens d’une cathédrale.


« I WIsh I Were A Song (Epilogue) »

La fin officielle de l’album. Je pense qu’elle apporte une dose d’optimisme à l’ensemble. A mes yeux, elle symbolise l’espoir.


« When It’s Just You & Me »(hidden track)


Du pur plaisir. Le « Love Theme » d’un film qui en fait n’existe pas. Un peu comme si Mondo Cane (ndlr : le docu/film choc italien sorti en 1962) avait une belle chanson d’amour (« More ») pour son thème musical.


Cinq albums :

Laura Nyro Eli & The 13th Confession

Jerry ReedKo Ko Joe

DJ ShadowEndtroducing

Miles DavisBirth Of The Cool

Mickey NewburyFrisco Mabel Joy

Brent Cash, How Strange It Seems (Marina Records / Differ-ant)

It’s Easier Without Her – Brent Cash (2011)



English Version

How Strange It Seems

Brent Cash : I wanted to take what I did with « How WIll I Know If I’m Awake » and make the music more elaborate,but with all the lyrics being simplified,very direct,easy to understand/not obscure…and they had to rhyme! Thanks to Franck and all Pinkushion readers!BR>

« I Wish I Were A Song »

This is a song about fantasizing about…being music. What would it be like, all the different places(concrete and spiritual) you’d go, what’s it like to be sung and whistled. I wrote the very first orchestra line (which is from 0:01 to 0:06 on the CD) outside around mid-morning while visiting my parent’s house where they temporarily lived for a year in Cedartown, Ga, but they didn’t end up staying there, they moved back down further south in Georgia. From the 0:07 point in the song until the acoustic guitar and vocals come in, that was written in Asheville, North Carolina in about half a day. I later found out that a town just outside of Asheville was where Bartok escaped from noisy New York for awhile to work on his « Concerto For Orchestra ». I love that « small-scale synchronicity. »


« It’s Easier Without Her »

A song with sentences that don’t neccesaily end symmetrically with the melodie’s end. Example: In the first verse, the melody is « over », but the end of a particular sentence (« With Our Different Wants And Different Needs ») is still yet to be sung, so it begins in the second verse melody. I originally wanted a Stevie Wonder-type chromatic harmonica solo for this song. I searched in vain on the internet and posted a notice at a big Guitar Center music chain store in Atlanta looking for « a chromatic harpist needed for solo on recording project/will pay for your work. « I got only one response from the internet-a guy somewhere in the United States who said he only played blues, not « melodic » style on the chromatic harp. So, I gave up on that idea (one of the few times I had to « just let something go » on this record) and decided a harpsichord solo with bongos(!) would be snappy (and in my opinion, strange) enough.


« I Can’t Love You Anymore Than I Do »

I first got this song in my head with the female vocal doing the melody. I heard the beat and the backing track all at once, too and rushed to scribble down the notes on nearby paper and I recall having written « Lennon Sisters go Disco? » on it to remind me of the feel of the whole thing. I later decided to give the melody to many members of the orchestra, sort of having them taking a quick turn at it, so I gave it to the French Horn, the violins, the viola, the Fender Rhodes, etc. I thought it would make a nice lookback at TV themes I grew up with. So, it’s a bit of a tribute to that genre. I can’t hear anything but fun when I hear this song, it sounds like people having fun by the pier, cruising around town in their newly washed cars.


« Just Like Today »

My favorite song on the record. It’s about suddenly noticing the wonders of nature and realising that they’ve been there all the time and you just don’t appreciate it all the time. But, wishing you could…


« How Strange It Seems »


I envisioned Anne Murray singing this. I just think she is a lot cooler than people give her credit for. Some of the songs on her first major label albums are mind blowing, like « Someone Else Today ». It sounds like something off « Something/Anything » to my ears. And her voice is so unique and laidback. Our singing voices have a similar range, too-so I just went for it. The words to this song are not ironic and if you listen to the violin melody on the fadeout part, the first half of it is « slight sorrow at the failure to play life’s game » and the second part of it is « victory in spite of that ».


Brent Cash / Marina Records


« Where Do All The Raindrops Go »


Life is full of unanswered questions, this is one of them. Maybe scientists might chime in on this one, however…


« The Heart Will Always Work Alone »

Featuring The South City Voices from Atlanta. Part of making these records is getting things out of your system that you always wanted to do. I wanted to tap into that « Love American Style » sound a bit, but I can never really make it sound exactly like someone else’s music which-in the long run-is for the best. It sounds a bit « dark » to me, but when you start getting feedback from others, you realise few people hear music the same way as you do and they might see the opposite of « a bit dark ». That’s one the great things about music-what you hear belongs to you exclusively.


« I Must Tell You Now »


This song bares it all. If you want love, you sometimes have to work at it. Sometimes it works out, sometimes it doesn’t. Sometimes if it does, you’re sorry later that it did and Sometimes, if it doesn’t work out, you’re glad it didn’t! It is unlikely that Slayer will be covering this tune.


« Don’t Turn Your Back On The Stars »


This is the old « practice what you preach » adage. The singer is in love with someone who is into astrology and the like. The singer doesn’t believe in it, but investigates and finds that they are compatible according to the hallowed charts and signs. But the loved one hasn’t (or won’t) noticed yet.


« I Just Can’t Look Away »


This is a song that in my opinion, « doesn’t get in a hurry ». It flows along at its own stubborn pace. I had to turn to my friend David Layman on this one, a great pop singer/songwriter, but also someone who officially is involved with opera in Atlanta. OK…the producer in me of course gets crazy ideas when you realise what all is at your disposal and I had to sheepishly ask him… « do you mind doing your opera voice on this song? » And he gladly delivered, if a bit confused at the idea. We also tracked several of him at the near-the-end-climax of the song, sure to please most ancient cathedral dwellers.BR>

« I WIsh I Were A Song (Epilogue) »


The official end to the album. I feel it lends a bit of optimism to the the whole thing. It sounds hopeful to me.


« When It’s Just You & Me »(hidden track)


Fun is what this is. The « Love Theme » to a movie that is unrelated to the movie. Sort of like Mondo Cane(with its shock value) having a beautiful love song (« More ») as its love theme.


Five favorites album by Brent Cash :


Laura NyroEli & The 13th Confession

Jerry ReedKo Ko Joe

DJ ShadowEndtroducing

Miles Davis Birth Of The Cool

Mickey NewburyFrisco Mabel Joy

Remerciement à Aymeric Janier