Le chanteur de Hold Steady nous prend à revers avec cette première aventure en solitaire. Cela n’est certes pas suffisant pour faire de cet opus inaugural un grand disque mais la surprise s’avère au final très convaincante.


De Craig Finn, en petits malins que nous prétendons être, nous pensions avoir tout compris: consciemment ou pas, lui et son groupe étaient clairement bloqués sur Bruce Springsteen and the E-Street Band (et, soyons honnête, aussi The Replacements et donc Paul Westerberg), de fait son premier album solo se devait de sonner comme Nebraska, point barre, dossier suivant s’il vous plaît greffier. Sauf que le gars est intelligent et qu’il sait lire, alors à force de voir tout ce que la sphère musicale indie compte de médias citer à tout bout de champ le boss et sa team en référence, le quasi-sosie de François Hollande a dû flairer le piège. Plutôt donc que de se sacrifier sur l’autel du sacro-saint mimétisme identificateur, Finn décide, non pas d’en prendre le contre-pied (la trahison artistique ne l’aurait sûrement mené nulle part), mais de n’en faire qu’à sa tête tout en se faisant plaisir.

Dire que ce plaisir s’entend le long de ces onze chansons est un euphémisme: ici pourtant, pas d’emballement démesuré ou d’euphorie préfabriquée, mais plutôt une ferveur indéniable dans l’interprétation de titres très variés et, dans l’ensemble, bien composés. On trouve ici une passion assez inédite chez le chanteur pour le demi-ton, l’entre-deux, le mélange clair-obscur, loin, très loin de l’aspect frondeur et conquérant du classic-rock-indie de son groupe habituel. Enthousiasmantes à petites doses et épuisantes sur la durée, les chansons de Hold Steady sont clairement taillées pour les stades, tandis que celles de Lonesome Finn sont, quant à elles, faites pour les clubs avec leur trop-plein d’humilité dans les mélodies et d’humanité quotidienne dans les textes.

Il n’est pas mensonger, dès lors, de prétendre que l’on attendait pas nécessairement cela de sa part. De même, si son chant est extrêmement identifiable de par son timbre et son aspect assez déclamatoire (parfois à la limite du spoken-word), il prend lui aussi ses distances avec le côté poing levé, guitare tendue vers les cieux, debout sur le piano qu’il arbore communément. Ici, il joue plus sur un registre assez proche de celui de Tom Petty convenant parfaitement avec la musique composée.

Cette musique, justement, de quoi retourne-t-elle? D’un rock habité et plutôt laid-back, sans réelle tension, piochant dans la country, le blues et la soul (somme toute donc très classique dans sa forme), mais axé plus sur les atmosphères que sur l’énergie, davantage sur les humeurs que sur les mélodies, à quelques exception près cependant («Â No Future » gentiment nerveux). Ainsi, tout en étant très plaisant d’écoute, Clear Heart Full Eyes met un peu de temps à s’imposer car l’on peine légèrement, au départ, à en retenir les morceaux. La persévérance pourtant s’avère payante puisque c’est par son biais que l’on découvre ce que l’on ne percevait pas initialement, soit de très belles chansons (« Apollo Bay », « Jackson », »Western Pier », « Balcony » au sein desquelles Ricky Ray Jackson de Phosphorescent fait quelques merveilles à la pedal-steel), émouvantes et lettrées (le storytelling americana dont Finn s’est fait le porte-étendard et l’expert depuis quelques années est ici toujours de rigueur), et qui, contre toute attente, marquent tout de même pas mal de points sur la longueur.

En prenant l’option de ne pas faire ce que l’on attend de lui, Finn n’a certes pas choisi la voie la plus simple afin de se présenter seul à un auditoire le connaissant déjà. Mais cette démarche est tout à son honneur et en dit long sur l’assurance artistique qui se terre derrière l’apparente fragilité et la vraie délicatesse de ses créations. L’assurance d’un musicien sûr de son fait et de sa capacité à fédérer sur ses seules compétences de compositeur et d’interprète, et pas uniquement par le biais du sticker, toujours suspect, annonçant de façon racoleuse  »par le chanteur de… ». Dit comme ça, ça n’a l’air de rien mais combien d’autres se dégonfleraient et rechausseraient fissa leurs pantoufles en pareille occasion? On salue le geste faisant donc de ce Clear Heart Full Eyes une jolie réussite sur le plan artistique mais, surtout, la découverte d’un grand bonhomme en la personne de son auteur.

Craig Finn – « Clear Heart Full Eyes »