Inspiré par des vents forts, Olivier Depardon signe un album dense et obsédant, construit comme un voyage initiatique, mental et physique.


Au cours de la première partie de sa vie musicale, Olivier Depardon a été l’un des trois artificiers de Virago, groupe grenoblois abrasif ayant su conjuguer langue française et rock qui dépote. Un E.P. en 1997, puis deux albums, Introvertu en 1998 et Premier Jour en 2000, le tout publié par le label bordelais Vicious Circle (créé en 1993 par les fondateurs du fanzine Abus Dangereux). Chaque morceau est balancé comme un uppercut, rêche et tendu, sans concession. Rythmique en muscles saillants, guitares écorchées et la voix d’Olivier comme sirène de pompier : le feu hard-core a bien habité Virago, trop radical pour connaître le succès de Noir Désir.
Le bassiste Jean-Marc Junca et Olivier Depardon poursuivent l’aventure au sein de Zygoma ; puis arrive Jull, projet à géométrie variable. Depardon se consacre ensuite au travail de la mise en son pour d’autres, notamment à la salle Le Ciel, à Grenoble. Une dizaine d’années tournées vers l’extérieur pour mieux revenir vers son intérieur, aujourd’hui retranscrit au sein de cet impressionnant premier album solo. Solo car Depardon compose et interprète seul les dix titres présents. Les textes lui sont également dus, à l’exception de “Le Vent Si Fort” et “Un Soleil Dans La Pluie”, écrits par Nadège Morel. François Carle à réalisé les prises de sons, ainsi que le mixage avec Olivier. Voilà pour le générique restreint.

Les écoutes successives de l’album font apparaître son homogénéité et sa cohérence dans l’agencement des morceaux. “Naître Un Jour” et sa progression serpentine ouvre logiquement la partie. Une montée en tension à l’unisson entre guitares, batterie et la voix assurée d’Olivier. Accent des terres froides pour textes chauds, mots parlés qui sonnent à l’oreille, entre évocations abstraites et images saisissantes, répétitions et mutation des expressions . «Une minute peut mettre un jour, une minute va mettre un jour, une minute peut naître un jour, une minute peut n’être qu’un jour». “Je Suis” trace une ligne droite indocile, rappelant l’âpreté jouissive du #3 de Diabologum. La musique est déterminée tandis que le texte évoque l’incertitude des possibles, les paradoxes d’un homme. Arrive “De Bonne Heure” (et son bel homophone, de bonheur), profonde respiration portée par orgue et harmonica. “L’Objectif” et plus loin l’instrumental “El Pickin’o” lancent des œillades respectueuses aux grands frères Thugs. “En Mission” peut évoquer (à ceux qui l’ont croisé) le phrasé atypique de Patrick Chenière, alias Général Alcazar (à écouter notamment La Position Du Tirailleur, fait d’arme mémorable de 1998). Sur ce morceau ou le suivant, “Le Vent Si Fort”, voire un peu partout d’ailleurs, la musique de Depardon peut aussi faire penser aux terres incandescentes de Idaho, lorsque Jeff Martin et ses acolytes, John Berry puis Dan Seta, sublimaient les distorsions, faisaient naître la lumière d’un sombre univers.

Mais au delà de ses multiples rapprochements, c’est bien la voix et le son d’Olivier Depardon que l’on entend. Depuis Virago, l’homme s’est comme apaisé, investissant d’autant plus une dynamique imposante. Son album en est l’incarnation, juste, tendue et charnelle. Depardon utilise au sein de chaque chanson un lexique minimal et précis. Il touche à la poésie sans emphase, il joue avec les mots sans trop en faire. Il parvient finalement à réaliser ce que peu ont réussi : ajuster le français à la scansion rock. De la musique américaine qui l’inspire, il garde les grands espaces vierges, ceux d’avant les colons. Ces terres habitées par les peuples indiens, communiant avec la nature. Le vent, le soleil, la pluie ; une allégeance, le respect. Ce sont ces samples hantés qui traversent “L’Objectif”, ou encore cette transe qui mène le morceau final si haut, jusqu’à l’aveuglement. «Un canal, une rive, un bien être tout entier». Un Soleil Dans La Pluie, ou l’implacable pulsion de vie.