Avril dernier, le duo américain Barn Owl faisait l’ouverture à la Maroquinerie à Paris d’une grande soirée de concert aux côtés de Om et de Pelican.


Avant leur courte mais puissante prestation, Evan Caminiti et Jon Porras, enthousiastes et très contents de revenir jouer en Europe, ont bien voulu répondre à quelques questions.

Pinkushion : Dans vos interviews, vous affirmez vous intéresser à la musique d’une manière spirituelle; vous en parlez comme une « voie de libération». Comment pensez-vous cette possibilité, ce type de relation entre un album, une musique et un auditeur dans notre réalité et l’industrie musicale actuelle ?

Evan : Je pense que la spiritualité peut être très différente selon les personnes. Nous faisons une distinction, et pensons à ce que nous faisons plus comme une expérience que comme un divertissement, qui peut vous mener quelque part dans votre propre esprit, qui peut être suggestif, sans nécessairement être le temps de paroles d’une chanson. Alors il y a réinterprétation et laisser la musique à elle-même, à sa nature dynamique, suggérer l’espace. Ce sont ces choses que nous comprenons comme des thèmes spirituels, et non dans un sens littéral.

Jon : Je pense que c’est difficile à appréhender, puisque le mot « spiritualité » est un mot chargé. Pour certains cela veut dire religieux, méditatif, pour d’autres une chose « hippy » ou quelque chose d’inatteignable, ou pour ceux qui ne sont pas intelligents, avoir la foi en quelque chose qui n’existe peut-être pas. Mais je pense qu’à un niveau fondamental, c’est quelque chose d’unique chez les humains qui veulent atteindre une chose au-delà de ce qui se trouve devant eux d’une manière évidente. J’essaie, ou, je pense, nous essayons, d’avoir cette mentalité à travers notre jeu par exemple, quand on joue selon un état méditatif pendant lequel tu peux laisser ton subconscient te guider, pour quelque chose qui ne peut seulement surgir qu’à ce moment-là. Quand tu es dans un état méditatif, tu accèdes à un subconscient et à un ensemble d’idées auxquelles tu ne peux accéder dans la vie quotidienne et dans la réalité physique. Mais ces deux choses ne sont pas séparées ; je ne conçois pas l’état méditatif comme une fuite : Il est aussi réel que la conversation qu’on est en train d’avoir. Ça dépend juste du regard que l’on y porte.

Evan : Totalement.

Evan Caminiti & Jon Porras (Avril 2012)

Je sais que vous êtes pas mal intéressés par la littérature religieuse et philosophique. Comment se déroulent vos procédés créatifs concernant vos lectures et idées ? Avez-vous différentes phases d’écriture, autrement dit comment passez-vous des idées aux compositions ?

Jon : La philosophie et la littérature mystique font partie de ces choses qui gravitent autour de nous et nous intéressent. Mais nous ne sommes pas du tout des érudits. Quand il s’agit de la créativité musicale, on est plus sur le plaisir, sur une expérience agréable. Evan et moi nous faisons la musique qu’on désire faire et entendre, et quand cela arrive, nous aimons juste jouer ensemble, tout en étant intéressés par toutes ces idées qui sont un peu ésotériques…

Evan : Je ne désire pas devenir cérébral. Tu peux effectivement appliquer ces idées que tu as au son, mais finalement ça revient à reproduire des sons qui nous rendent heureux, tout ça avec une bonne dose d’énergie.

Quel est le statut des performances en live dans votre musique, par rapport aux sessions d’enregistrement ?

Evan : Les concerts sont un peu plus dépouillés sous certains aspects, on fait beaucoup de boucles en live, on joue les parties comme un groupe entier ; surtout on est plus « branché », utilisant des samplers et des synthétiseurs en plus des guitares qui ont été notre gagne-pain pendant très longtemps. Dans le studio on a plus de temps pour ajouter des couches aux choses et au temps réel. On a vraiment deux approches différentes mais il y a chevauchement.

Jon : Effectivement. Je pense aussi que nous sommes ouverts dans nos concerts à l’improvisation. Parfois, le jeu prend une direction que l’on n’attend pas, alors que l’enregistrement est toujours le même, un jeu répété à chaque fois. Il y a donc cette possibilité pour quelque chose d’inattendu. Aussi, le show en live est beaucoup plus fort, plus engloutissant, immersif.

Evan : Tu peux baisser le son de ta chaîne, mais tu ne peux pas le faire en concert. Un ami mentionnait le fait que notre album peut être complètement différent si on l’écoute fort ou si on l’écoute avec un volume faible. C’est comme l’idée de l’ambient music, quand tu patientes dans un hôpital par exemple, avec une musique très faible, ça part et ça revient, c’est comme ça qu’on a eu l’idée d’écouter la musique ambient. Je pense que notre musique peut avoir cet aspect, qu’on peut l’ignorer comme une chose agréable en arrière-plan, ou ça peut être dévorant, car on joue aussi pour des gens qui n’écoutent pas forcément des choses comme ce qu’on appellerait du drone psychédélique. Et nous sommes toujours à dire : « Vous devriez venir à nos concerts ». C’est une manière de voir les choses, mais il y a aussi ce côté complètement différent où t’es vraiment consommé, c’est pour ça qu’on aime bien jouer en live.

Jon : Il y a quelque chose de spécial concernant la musique à longue durée. En surface, elle peut paraitre stagnante, comme s’il ne se passait pas grand-chose mais si tu augmentes un peu le volume ou écoutes d’un peu plus près avec plus d’attention, tu peux voir des choses qui peuvent a priori passer inaperçues.

Evan : Oui, le rôle le plus important est celui de l’auditeur. Ce n’est pas comme si quelqu’un qui, après une dure journée de travail, désire rentrer à la maison et se concentrer avec toutes ses forces au lieu de se détendre et de s’amuser. Tu peux juste développer un autre type d’écoute.

Jon : Quand vous devenez familiers avec ce genre de détails, ce type de musique subtile, ce genre de patience vous suit partout, à l’extérieur, quand vous écoutez la vie quotidienne et le son de la ville. D’une certaine manière, ça rend votre vie plus riche à mesure que vous l’entendez.

Et celui de vos projets solo et vos collaborations ? Est-ce que Barn Owl est votre projet principal ou fait partie d’un cadre plus élargi ?

Jon : Absolument. Je dirais que Barn Owl est notre projet principal. Nous travaillons toujours sur la musique, que ça soit celle de Barn Owl ou solo, mais pour moi Barn Owl est effectivement le centre.

Evan : Nous sommes chanceux d’avoir le même objectif. Pour moi c’est comme vouloir faire la même chose et développer cela sur des années. C’est cool d’avoir ce lien très fort, être capable de faire ce qu’on fait, tourner beaucoup, comme l’année dernière par exemple. Nous nous consacrons définitivement à Barn Owl.

Evan Caminiti & Jon Porras (Avril 2012)

Maintenant que vous faites partie de la famille Thrill Jockey, quels sont les changements concrets dans votre façon de faire de la musique que cela a apporté ?

Jon : Je pense que le grand changement était la manière dont on pouvait enregistrer et les ressources à notre disposition, puisque avant Thrill Jockey, nous enregistrions la plupart du temps à la maison et aussi on avait des amis qui nous permettaient d’avoir accès aux studios. Mais quand on a eu l’aide de Thrill Jockey, on a pu travailler avec Phil Manley (Trans Am) et avoir un vrai studio d’enregistrement. Je pense que notre son a bénéficié de ce genre de petites choses.

Evan : Oui, aller plus loin dans ce que nous faisons en gardant une identité…

Jon : Par exemple, quand on a enregistré Lost in The Glare, rien que l’équipement dans le studio valait l’expérience, le space echo, tiroirs remplis de pédales…

Evan : Anciens moogs

Jon : Oui. Beaucoup de jouets au final.

Vous avez sorti un EP, et maintenant des CD avec Thrill Jockey. Vinyle, CD, cassette…est-ce que le médium a son importance pour vous ?

Jon : C’est intéressant parce que, effectivement quand on enregistre un LP, on fait en sorte que chaque face se corresponde et qu’il y ait une continuité de l’enregistrement. Par exemple, une grande musicienne comme Ellen Fullman ne sort que des albums sur CD puisque ses morceaux sont très longs ; ça n’aurait pas fonctionné sur vinyle. Ou comme Eliane Radigue…ce serait difficile de faire la même expérience sur LP puisque qu’il faudrait se lever et changer de face. Mais ceci dit, on aime beaucoup l’expérience du vinyle, s’asseoir à côté de la platine avec la pochette dans les mains, avoir cet accompagnement visuel à la musique. Oui, j’aime le vinyle. (rires)

Cinq albums choisis par Jon & Evan

Popol Vuh – Aguirre
Neil Young – Dead Man OST
Klaus Schulze + Rainer Bloss – Drive Inn
John Coltrane – Love Supreme
Vladislav Delay – Multila

Barn Owl, Lost in the Glare (Thrill Jockey, 2011)