En marge du groupe Tunng, Mike Lindsay livre le témoignage discographique de son exil islandais.


Fondé au milieu des années 2000 par Mike Lindsay et Sam Genders (parti depuis pour créer les excellents Diagrams), le groupe Tunng s’est progressivement affirmé comme l’un des plus stimulants laboratoires musicaux de notre époque. A cheval entre tradition et modernité, le collectif londonien n’aura cessé, au fil d’albums toujours plus aboutis, de proposer de nouvelles pistes à une scène folk britannique en mal d’idées neuves. Quelques semaines après la sortie d’une rétrospective des sessions du groupe pour la BBC, et dans l’attente d’un nouvel opus espéré pour l’année prochaine, Lindsay donne enfin des nouvelles de son mystérieux projet solo, Cheek Mountain Thief.

Annoncé depuis quelques mois par une rumeur grandissante, ce disque est pour le garçon le prolongement d’une double histoire d’amour. D’abord celle qui le lie à une jeune femme prénommée Harpa, rencontrée lors d’un premier voyage en Islande en 2006. Mais également celle d’un véritable coup de foudre pour le pays natal de celle-ci. C’est en 2011, alors que son groupe est à l’affiche du festival Icelandic Airwaves, que l’Anglais décide de se lancer dans un projet parallèle entièrement inspiré par les paysages et les habitants de cet état qui deviendra bientôt pour lui une seconde patrie. Profitant de la mise en suspens provisoire des activités de Tunng, il se rend à Husavik, village côtier isolé du nord de l’île où, installé dans une cabane face à la montagne Kinnafjoll (“Cheek Mountain”, en anglais), il s’entoure de musiciens du cru – amateurs pour la plupart – et donne vie à ses ambitieux desseins. Mixés un peu plus tard à Rekjavik par Gunni Tynes, de la formation locale Mùm, les enregistrements résultant de cette excursion en terres volcaniques se dévoilent donc enfin.

Navigant ici en léger retrait des eaux folktronica habituellement fréquentées par son embarcation principale, Lindsay élabore un folk très travaillé et dont les innombrables inventions mélodiques ne se manifestent qu’au prix d’écoutes répétées. Pris dans les filets de cette matière acoustique un tantinet exigeante mais néanmoins toujours accueillante, on songera plusieurs fois à Bon Iver, cet autre reclus volontaire dont le folk pastoral n’aura cessé de dériver d’une mise en scène des plus frugales vers des orchestrations toujours plus sophistiquées. Il faut dire que la palette instrumentale utilisée par notre explorateur, parti au départ avec pour seul bagages un ordinateur portable et une guitare, est particulièrement fournie : cuivres, marimbas, glockenspiel, xylophone et une kyrielle d’instruments en tous genres sont ainsi venus se greffer tout naturellement sur la colonne vertébrale d’un folk profondément ancré dans ses racines terriennes. Le tout est enfin soutenu par l’apport régulier de contrepoints vocaux vibrants et inspirés, achevant de donner à la musique de Cheek Mountain Thief une ferveur et une humanité communicative, à l’image de celles de Beirut ou Sufjan Stevens.

Mike Lindsay a incontestablement toutes les raisons d’être fier du travail accompli lors de cette expérience solitaire. Sa réussite, il est vrai, est double : non content de parvenir à retranscrire en musique la chaleur et l’hospitalité d’un peuple et d’un territoire aux abords pourtant relativement austères, le songwriter britannique aura, qui plus est, su démontrer que le groupe Tunng abrite en son sein un artiste d’exception. C’est donc avec encore un peu plus d’impatience que nous guetterons désormais chacune des ses sorties.

Cheek Mountain Thief – « Cheek Mountain »