Nouvelle signature du label Talitres importée des steppes de l’Est, ce quintet post-punk démontre d’une présence singulière. Hantée.

On peut compter sur l’honorable label Talitres pour traverser clandestinement les frontières difficiles, braver les tempêtes de neige vers les territoires les plus reculés, afin de nous débusquer des pépites au secret bien gardé. Après la révélation estonienne Ewert & the two Dragons l’an dernier, destination cette fois la Russie, à la « porte du Causase  », région si lointaine et mystérieuse pour nous, privilégiés européens de l’ouest. C’est là-bas, dans la ville de Rostov-sur-le-Don – près d’un million d’habitant tout de même- que le temps s’est suspendu. Grâce à Internet, un quintet du nom de Motorama est en train de vivre sa révolution post-punk, remonter la filière de Factory Records, Joy Division en figure de proue, les guitares diaphanes de The Durutti Column et la mélancolie des claviers glacés de The Wake.

Motorama existe depuis 2005, Calendar est son second album, le premier à être distribué par les circuits officiels. En 2010, le quintet (deux guitares lacrymales, une claviériste « atmosphérique », enfin basse et batterie hypnotiques à la sauce Martin Hannett) sort son premier opus entièrement autoproduit et vendu uniquement par le biais des concerts. On imagine les difficultés de tout ordre à surmonter pour un groupe slave chantant dans la langue de Ian Curtis. Qui plus est dans un pays où le marché du disque est quasi inexistant.

Chez la maison bordelaise Talitres, on chérit les guitares obligeantes et sophistiqués, les voix sépulcrales de chanteurs écorchés qui laissent cicatriser leurs plaies à l’air libre. On imagine donc le choc pour le label qui a découvert The National et The Walkmen. Motorama est du même calibre. Le phrasé du chanteur/guitariste Vladislav Parshin évoque – inutile de le cacher – Matt Berninger , mais son vague à l’âme n’appartient qu’à lui. Motorama exhale une poésie ténébreuse et une tension sous-jacente, à donner le frisson sur « White Light », « Rose in the Vase » – et pas seulement à cause des nappes cold wave … Certaines envolées rythmiques n’ont rien à envier à l’Interpol des débuts (« During The Years »), à moins que ce ne soit les cultes The Chameleons et The Sound. Il y a un peu de tout cela certainement, on reste de toute manière en famille. Autre détail qui ne trompe pas, la barque illustrant la pochette du disque renvoie irrémédiablement à un classique des années 80, l’intouchable Ocean Rain de Echo & The Bunnymen. Même si esthétiquement, on aurait plutôt tendance à rapprocher le son de Calendar à l’album Crocodiles.

Finalement, au regard des références pourtant évidentes, le post punk de Motorama ne sonne nullement daté, mais détient plutôt des vertus revigorantes. Son charme hypnotique est très vite additif – le lancinant In « Your Arms », l’urgence emportée de « Scars » et « Two Stones ». Une présence écrasante de naturel, qui fait défaut à la plupart de ces contemporains britanniques évoluant dans la même sphère (Editors, White Light…). Ces cosaques du Don ont ce quelque chose d’authentique infalsifiable. Vite, un passeport pour Rostov !

En concert le 27 novembre à Paris (Point Éphémère), avec El Perro Del Mar et AV.

Motorama – « Scars »