Une compilation gargantuesque met en lumière la scène rock japonaise de Koenji (Tokyo), aux confluents du post-punk, de la new-wave et de la pop expérimentale.


Il existe au Japon, principalement présente dans la commune libre de Koenji (Tokyo), une scène rock indépendante vivante, inventive et éclectique, qui a trouvé en Ian Martin, fondateur du label Call and Response, un passeur précieux. Cet anglais infatigable, sorte de Barry Hogan local, critique musical au Japan Times et artiste crypto-situationniste à ses heures, vient de sortir Dancing after 1AM, une compilation gargantuesque de 18 titres inédits, représentatifs de cette scène se situant aux confluents du post-punk, de la new-wave et de la pop expérimentale.

L’intérêt d’une telle compilation est que quiconque aurait envie d’écouter du rock indépendant japonais se heurterait vite à deux obstacles : le peu d’informations disponibles et la rareté des disques, bien souvent autoproduits et vendus sur place, lors des concerts. D’un côté, cette confidentialité est excitante, à une époque où tout est accessible en deux clicks. D’où beaucoup de bonnes choses mais aussi un risque de banalisation, de massification, d’ennui. Pourtant, là, cette confidentialité est franchement excessive : il suffit de taper sur Google le nom de n’importe lequel des groupes présents sur Dancing after 1AM pour constater qu’il est très difficile de trouver la moindre info dans une autre langue que le japonais, et encore.

Joie, donc, de retrouver réunis sur cette compilation des groupes aussi enthousiasmants. De prime abord, il y a de quoi être chamboulé devant une telle variété : du post-punk de Tacobonds (du genre qui donne l’impression d’avoir des oreilles neuves et d’écouter du rock pour la première fois) à la pop douce et nostalgique, un peu fêlée, de MIR, en passant par l’errance faussement apaisée d’Extruders évoquant les plus belles balades de Lee Ranaldo (un groupe qui se produit dans des temples zen !)… Sans oublier la noise pop de Slow-Marico (les fans de The Jesus & Mary Chain apprécieront), le psychédélisme puissant de Futtachi… le n’importe quoi infantilo-obscène de Kobayashi Dorori, le synth-punk de Jebiotto (lors de leurs concerts, le public ne touche littéralement plus terre : stage diving pour tout le monde !), le garage-rock hyper-efficace d’Anusakis, les murmures envoûtants du post-punk lo-fi de She Talks Silence, le chaos sonore délicatement inaudible de The Mornings… Les groupes tokyoïtes y sont principalement conviés, mais aussi quelques représentants de la scène alternative du Kyushu, l’une des plus actives de l’archipel.

Si l’influence du post-punk né à la fin des années 70 / début 80 (Joy Division, Wire, Siouxie…) est évidente, Dancing after 1AM ne donne jamais l’impression d’une démarche visant l’ »anthropologiquement correct » – l’expression est de Frank « pré-retraite » Black à propos de sa propre musique. L’écoute n’a rien d’une visite dans un musée poussiéreux : hybridations, relectures, bricolages, bifurcations, s’appuyant sur le passé pour le réactualiser et en prolonger ce qui vit encore. L’innutrition est visible, mais le résultat est singulier. Il n’y a peut-être que sur les pistes de Hysteric Picnic et de Slow-Marico que l’impression de flirt dangereux avec l’hommage trop conforme, tournant presque à la parodie, persiste ; mais entre parodie et quintessence, il est parfois difficile de savoir où l’on se trouve exactement…

Quoi qu’il en soit, et même si une écoute fragmentée est recommandée (le disque est un peu étouffe-marxiste), l’excellent et le vif dominent, permettant de vérifier que l’indie japonais ne se limite pas aux quelques groupes qui ont acquis une reconnaissance internationale (Boris, Melt Banana, etc). D’évidence, et sans prétendre à quoi que ce soit d’exhaustif, Dancing after 1 AM nous offre un beau et unique panorama, qui donnera certainement envie d’approfondir ces découvertes et, lors d’un séjour au Japon, de pousser les portes d’une live house de Koenji.

Autre chose, pour finir : on avait senti, avant même l’écoute, rien qu’en lisant le nom de cette compilation (qui fait référence à une loi japonaise ubuesque, heureusement largement contournée, interdisant aux gens de danser après une heure du matin si l’établissement n’a pas une licence spéciale, sic) et en contemplant le livret avec ses dessins agrémentés de notations ironiques et/ou politiques dans un esprit proche des détournements situationnistes, que tout cela mettait en jeu, aussi, le mode de vie. Retour ligne manuel
Par-delà la diversité musicale, l’unité d’ambiance de Dancing after 1 AM est celle du quartier réfractaire de Koenji. Cette brillante sélection témoigne que le rock nippon n’est pas seulement affaire de wanabees avides de reconnaissance sur une major (phénomène fréquent au Japon, rendant un grand nombre de live houses infréquentables), de trouducs branchés. De contre-culture mettant fin à l’art comme sphère séparée, le rock serait devenu un style de consommation inoffensif, une simple soupape de sécurité. Cette scène indé japonaise (il y en a d’autres) fait mentir ce constat déprimant, en même temps qu’il amène à nuancer celui, trop entendu, du Japon comme terre de conformisme et de sur-socialisation.

TACOBONDS / THIS COUNT

She Talks Silence – « Long Ways »

Extruders, Collapsing New Buildings, live

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