Retour sur le brut et addictif troisième effort des rockeurs lo-fi Cloud Nothings. Chargée en fureur et en émotion, la formation de Cleveland balance un des meilleurs disques de 2012.


A l’origine, Cloud Nothings est le projet d’un seul homme, le génial songwriter Dylan Baldi. Déjà auteur d’une poignée de bombinettes pop punk (notamment « Hey cool kid » et « Turning On »), il prend ici un virage assez radical sur ce troisième album en signant un recueil de bombes rock’n’roll tout court, pour la première fois accompagné en studio de son groupe de scène. Enregistrés par Steve Albini dans son studio Electrical Audio à Chicago, et publiés tels quels sans textes ni crédits, les huit titres de Attack on memory sont de véritables assauts soniques, directs, concis, et terriblement accrocheurs.

Au rayon influences, d’aucuns se remémoreront nombre de formations vertébrales du rock indé US – Replacements, Hüsker Dü, Pixies, Fugazi, Nirvana, etc. On y entend aussi des cousins américains plus actuels, Waaves ou Strokes par exemple. Pourtant, au-delà des ces influences et de la forte empreinte 90’s, se pose devant nous un groupe bien ancré dans son présent. Certainement en guerre avec la rétromania ambiante (cet « assaut sur la mémoire » dont parle le titre), Cloud Nothings plonge ses mains dans le cambouis de l’époque. Dès l’inaugural « No future / No past », le disque est imbibé d’un ton inquiet, menaçant, puis explosif. Sans aucun effet superflu, le morceau malaxe sa pâte comme une boule de nerfs et la fait éclater dans un geste viscéral et grandiose.

Pour conjurer l’humeur sombre et la voix cassée de Baldi, le groupe envoie une série de pop songs comme autant d’uppercuts dans le cortex, sans calcul et tout à l’énergie. Tandis que TJ Duke (basse) et Jayson Gerycz (guitare) appliquent leur sauvage rythmique, la guitare de Joe Boyer tranche dans le vif. Sur le fil du rasoir, Attack on memory oscille entre classiques indie pop et échappées noise rock. « Wasted days » et ses presque neuf minutes en est une parfaite synthèse : guitares et cadences tendues, couplets et refrains rageurs avec appâts mélodiques imparables, puis cette tangente inattendue, répétitive, bruitiste et tourbillonnante. Suivent l’abrasif « Fall in », un « Stay useless » percutant comme un Strokes sans frime, et le redoutable instrumental « Separation ». Un fil de négativité se déroule avec le dantesque « No sentiment », puis les bombinettes « Our plans » et « Cut you ».

Album court et cohérent, Attack on memory trahit ici ou là quelques maladresses – le chant pubère de Baldi en particulier – mais sa beauté brute en sort renforcée. En 2012, rarement un disque aura semblé à la fois imparfait et indispensable. Car Dylan Baldi et son gang n’ont voulu garder du rock que l’essentiel : la rage et la passion.