Formidable premier album concocté par des alchimistes Néo-Zélandais qui transforment tout ce qu’ils touchent en diamant. Noir évidemment.


Flying Nun Records a eu le nez creux et les idées courtes sur ce coup-là. Avoir déniché ce groupe est une belle réussite en soi. Certes, mais sortir leur fabuleux nouvel album au mois d’août, uniquement sous forme digitale, plus une poignée de «limited edition b(h)and made cd» déjà épuisée, c’est littéralement se tirer un obus dans le gros orteil.

De leur côté, les Sharpie Crows sont aussi habiles pour aborder leur musique («12 Omeros is the diary of a fevered dream. It contains a love song, a manifesto, memories of past lives, all tinted with the ecstatic nihilism of the seriously ill.») que maladroits pour décrire leur propre genre : «Industrial tropicana», démerdons nous avec ça. Quoique, la moiteur de l’un, secoué par la rudesse de l’autre, sied plutôt bien au groupe dans son ensemble. Bref, cet album ne se laisse pas apprivoiser facilement.

Lors de leurs précédents enregistrements – réunis sur la compilation Nostalgia Kills -, le groupe lorgnait plus volontiers entre post-punk frontal et pop anguleuse . Pour ce premier véritable album, le quatuor a décidé d’aérer le studio et d’y laisser entrer toutes les bactéries environnantes. Nul besoin de traitement, juste les effets secondaires. Cet album est un médicament expérimental tiré d’un film de Cronenberg : vicelard, traître et un peu putassier sur les bords, mais terriblement jouissif.

Les références sont nombreuses et tombent à rythme régulier comme autant de gouttes d’acides déchirant nos fantasmes. Le paysage musical est clairement établi et à première vue on s’y sent bien. On est de retour chez soi, sur ce bon vieux canapé qui grince. Seulement une ombre épaisse plane au loin. Quelque chose cloche. C’est le petit pavillon de banlieue d’apparence tranquille de The Entity (1982) qui bascule lentement dans l’horreur. Comme si le chanteur du groupe prenait un malin plaisir à reprendre à son compte la mémorable sentence finale du film : «Welcome home, cunt».

S’ils s’attaquent par instants au son d’une époque en plein revival, les Néo-Zélandais en livrent une relecture inspirée, tel le reflet tordu d’un miroir déformant. 12 Omeros regroupe tout ce que le rock a pondu d’infectieux dans les 80’s, Swans, PIL, This Heat, Skeptics, Crime & The City Solution, etc… Ils ont fondu l’urgence et l’extrémisme de ces derniers dans une pop-indus déviante, autour d’un mid-tempo à la fois orageux et chaloupé. On connait ces sonorités, certaines sont rassurantes, d’autres nettement plus menaçantes. Ils reprennent à leur compte certains codes, et quelques mélodies aguicheuses, en y injectant dans les rouages clinquants, une multitude de grains de sable perturbateurs. Dérégler la machine de l’intérieur est un manifeste en soi.

Chaque chanson est parsemée de bruits étranges et intrigants. La rythmique kraut couplée au son d’un essoufflement en introduction de « Bully 4 U » en est un bel exemple. Si le diable est dans les détails, on sait de qui s’est inspiré Sharpie Crows. Le chanteur se déhanche derrière son micro dans une théâtralité contenue, déliant ses mélodies d’un côté ou surjouant la froideur de l’autre, sans jamais perdre le fil. Le groupe est parfaitement en place. Les claviers et les guitares tranchantes sont utilisés comme autant de petits gimmicks savamment assemblés. Pour faire court, on est plus proche d’Extra Life période Made Flesh que du dernier Suuns.

L’élément qui finit de nous convaincre est la chaleur de ces cuivres et leurs échos tristes qui irriguent une grande partie de l’album – les superbes « Ethiopian Mass » et « Thank You Ladies For The Spread ». Chaque morceau mériterait son paragraphe soigneusement détaillé. On pourrait dire que « Sand Storm » porte bien son nom ou que « Roasting A Swan » rappelle le son originel de Flying Nun Records, mais 12 Omeros est un tout, aussi obsédant que passionnant. On peut trembler de plaisir, avec cet album la relève s’est armée jusqu’aux dents: «Long live the new flesh !».