Les Gun Outfit n’ont jamais aussi bien porté leur nom et dégainent un formidable troisième album. Douze balles dans le barillet et autant de chansons vautours prêtes à vous arracher le cÅ“ur.


Après avoir exorcisé une partie de leurs influences – SST Records et K Records – sur leurs deux premiers LPs (dont l’excellent Possession Sound), le groupe a décidé de grignoter les fondations de ces déjà solides édifices. Laisser vivre les grésillements et le souffle des instruments pour retrouver le squelette de leurs chansons. Toujours signé sur PPM Records (le label de Dean Spunt de No Age), Hard Coming Down a été composé sur deux ans, entre Olympia (leur ville d’origine), et L.A. Ce troisième album fait figure de voyage en terres arides et rappelle en un sens les premiers films de David Gordon Green. Comment dans un style surcodifié tel que le film indépendant tendance Sundance movie (pour faire court), ce cinéma là arrivait à investir un espace balisé avec un talent fou et une sincérité désarmante. L’esprit DIY chevillé au corps, et l’indépendance de ton comme sacerdoce, Gun Outfit est en train d’écrire sa propre histoire.

Si la lenteur prédomine ici, ils gardent néanmoins le colt à portée de main, prêts à dégainer (« Death Drive »). Hard Coming Down suit ainsi un rythme singulier, tel un battement de cÅ“ur aux pulsations irrégulières, entre ralentissements et soubresauts, comme touché par une indicible fatigue. Ces morceaux accidentés se maintiennent miraculeusement au-dessus du vide. Ce fragile équilibre est incarné par un duo au sein même du groupe: Dylan Sharp et Carrie Keith. Chacun sa guitare, alternant le chant, ils embrassent le rock et les harmonies folk dans un même élan intime (« Songwriter »).

Elle tout d’abord, mi-Thalia Zedek, mi-Kim Gordon, perchée sur son nuage poussiéreux, elle possède ce genre de voix qui inondent la pièce d’une vaporeuse mélancolie. Comme en témoigne « Fool’s Gold » qui clôt magnifiquement la première face. Elle nous emmène loin, allongée sur le sol tiède d’un désert fantasmé, sous les étoiles, à l’heure où le silence est hanté. Sur l’épatant « Flyin Low, Maria », à l’urgence Sonic Youthienne, Carrie Keith impressionne par sa capacité à moduler sa voix malgré ses faiblesses vocales, et par la manière dont elle s’accroche à la mélodie pour la relâcher fébrilement. À ce titre, le groupe tout entier développe cette idée, et se sert de ses propres défauts de façon admirable pour enfanter des morceaux magiques, tout en mélodies et accrocs, erreurs et réussites.

Lui, ensuite, est l’artisan besogneux et talentueux, à l’aise avec son manche moins avec ses cordes vocales. Il a peu à peu délaissé ses intonations à la Calvin Johnson (Beat Happening) pour se rapprocher de Curt Kirkwood (Meat Puppets), slacker un jour… Guitare en main, en revanche, Dylan Sharp sait où il va. Son blues nomade maintient chaque titre en ébullition (« Young Lord »). Ses accords tortueux forment une toile rocailleuse et mélodique, tranchante et pénétrante – « You’ll Go First » et ses notes aquatiques. Hard Coming Down est aussi un album de guitares, un dialogue passionné de six cordes, une forme de psychédélisme ancré dans la terre, fait de nÅ“uds et de volutes.

Biberonnés à tout un pan de la musique américaine – indie-rock, folk, alt-country – Gun Outfit reprend un héritage sans jamais se perdre dans une posture. Il y a cette force vitale incroyablement touchante dans leur musique, tel le voyageur qui économise ses forces dans le désert avant le prochain point d’eau. À l’image de cette superbe pochette, on ne sait encore s’ils se tournent vers le passé ou l’avenir, scrutant cet horizon sans fin, impitoyable ligne de fuite, immuable érosion.

En écoute: Gun Outfit – Flyin’ Low, Maria