Ce singulier sextet de Melbourne lâche un second album de gospel-blues hanté et brutal sur le label punk Poison City.


Ces Australiens plantent les graines de leur musique dans un terreau déjà largement labouré par le passé chez leurs compatriotes. Tradition australienne oblige, le blues ancestral est ici fondu dans le rock, maltraité, concassé, et décomplexé. Si le champ de bataille reste le même, les armes du groupe Harmony sont sensiblement différentes. Le casting, déjà, est plutôt atypique. Autour de Tom Lyngcoln (chant/guitare ; ex-The National Blue) et de la classique section rythmique (comprenant l’ex-McLusky Jonathan Chapple à la basse), vient se greffer un étonnant trio féminin aux chÅ“urs. Forniquer avec le diable, et par là même avec le blues est une chose, s’y mettre à six en est une autre.

Le groupe porte bien son nom et ce nouvel album, plus encore que le premier, est une nouvelle quête d’équilibre. Le disque a été volontairement produit par Lyngcoln lui-même, refusant ainsi de diluer sa musique dans un grand studio. Le son est cassant, live et en prise unique. Vibration du timbre de caisse claire, grésillement des cordes vocales, et comme l’impression d’entendre une compilation de démos enregistrées dans une église à ciel ouvert. Plus qu’un refus des modes et des artifices, cet album est l’expression d’une volonté, et d’un désir viscéral d’homogénéité entre la forme et le fond. La rudesse du son en échos aux émotions. L’un ne pouvant se libérer de l’autre.

Le blues cagneux d’Harmony s’organise autour d’imbrications étonnantes et peu rappeler à certains égards les (dés-)articulations de Dirty Projectors. Les chÅ“urs venimeux des trois ensorceleuses sont omniprésents, guidant comme d’une seule voix le chanteur dans ces contrées intérieures hostiles, telles de lucioles, rassurantes et apaisantes. Les compositions parfois inégales, mais plus resserrées, témoignent d’une cohérence remarquable derrière le dispositif. Rythm & Soul.

Tom Lyngcoln toute gorge déployée, chante sans filet, et dérape souvent, martelant son propos avec aplomb et une constance admirable. Le chanteur-gourou-au-cÅ“ur-brisé fait saturer son micro en faisant mine de balancer ses tripes dans la fosse à purin et nous demande de les croquer à pleines dents, quitte à laisser l’auditeur à l’écart… Sur des titres comme « Unknown hunter » et « Water runs cold » on retrouve cependant avec joie l’urgence de Will Sheff sur les premiers albums d’Okkervil River.

À l’image de son chanteur/guitariste, Carpetbombing est un disque volcanique et charpenté, entre calme en eau trouble et dérapages violents – « Cold Storage », « Wailing widow ». Un disque d’engagement, physique et incandescent. Parsemés de courts morceaux climatiques, « Pulse » et « Underground » donnent un peu plus corps aux fantômes qui parcourent l’album. Enrobé dans une enveloppe étrange, le bleu se fond dans le noir et le sang se mêle à l’incandescence de la lave. Sur la brèche. Un chaud/froid permanent qui peut placer l’auditeur dans une position inconfortable. Une musique qui craque dans l’oreille. Carpetbombing n’est pas un album agréable et c’est tant mieux.