Première claque au charme vénéneux d’un esthète ténébreux.


Pour gagner l’obscurité, nul besoin d’attendre que le soleil se voile ou de tirer des rideaux épais. Il suffit de poser le diamant sur les sillons torturés de la première livraison long play de Marc Desse, Nuit Noire. Et l’auditeur de se retrouver brusquement jeté à terre, frappé par une pluie battante de sentiments, entre deux flaques de souvenirs. En prenant ainsi connaissance de gainsbouriennes dernières nouvelles des étoiles, on tournera les pages déchirées du journal intime d’une âme singulière.

Car plusieurs jours se sont écoulés d’affilée avant que ne tombe ladite nuit. Dans la foulée d’une enfance ibérique et d’une adolescence banlieusarde, le sieur commence à user son cuir au sein du trio post-punk parisien Théâtre Métamorphosis. Déjà dans la langue d’Alain Z. Kan, il y forge, par le saignement des cordes et le fracas des boîtes à rythme, un goût pour la catharsis. Puis l’échappée belle en solo, en 2011, fait mûrir un travail d’orfèvre lo-fi, avec l’aide d’un sorcier punk de Détroit, David Grow (Isosceles Mountain, Dark Wave). Il en résultera une succession de pépites pop déguisées en EP (Petite Anne; Video Club), sur l’excellent label de San Diego, Bleeding Gold Records.

Il faut croire que l’univers de Marc Desse peut séduire des rives du Pacifique jusqu’aux… berges de la Garonne, avec cette présente sortie chez Bordeaux Rock. Grand défenseur de la scène hexagonale, le label avait offert, en 2013, une photographie saisissante de son renouveau, par l’entremise de la compilation French Pop. Desse y figure en bonne compagnie, aux côtés de frères d’armes tels que Mustang et Aline, occupant avec Lescop les versants plus sombres du spectre.

Nuit Noire, en dix plages et moins de quarante minutes, déroule des extraits du roman d’une vie au gré du défilement des heures de la nuit. Les cieux sombres sont propices à l’évocation élégiaque des amours brûlés (« Ma Fiancée »), des amitiés disparues (« Chanson pour Olive ») ou du bonheur perdu (« Giverny »). Chroniqueur laconique de ses doutes et désillusions, l’ermite de Ménilmontant s’adresse fréquemment à un « Tu » ambigu et mouvant, responsable d’une dose généreuse de tourments.

Les mots sont bruts et sans fioritures, gravés sur un tronc ou taillés dans la pierre, d’une encre matinée de khôl (« Dans le pré / Toute secouée / Je l’ai maquillée / Oui / Ma fiancée » – « Ma Fiancée »), d’alcool (« Whisky ice / Face à tes blue eyes » – « Henri et Elsa ») et de sang (« Moi je ne savais plus par où tirer / Toutes ces balles dans le vent déchiré » – « Nuit Noire »). Nantis de quelques licences et d’écho trouble, ils sont prononcés d’une voix oscillant entre nonchalance habitée et rage contenue, toujours sur la ligne blanche.

L’évocation d’un illustre regretté ayant, lui aussi, joué avec ses blessures n’est pas innocente. Et le rapprochement avec d’autres grands brûlés tombés pour la France ne serait pas déplacé. Il y a, dans le phrasé de Marc Desse, des réminiscences de Daniel Darc et, dans sa démarche, le ravivement de l’éclair pop punk que délivraient les météoritiques Extraballe et autres Gazoline. Et si l’on lorgne outremer, le radar y repère même le suintement synthétique d’un Alan Vega ou la roulette russe affutée d’un Stiv Bators.

A défaut de Rose Bonbon ou de Main Bleue, dont les planches ont disparu depuis longtemps, c’est sur la scène d’une nuit noire que l’impétrant est monté. Il s’y produit sous tension à la lueur sans filtre de son spleen, avec une grande sincérité. Et l’on peut gager qu’à l’écoute de cet effort initiatique, le jour n’a plus vraiment envie de se lever.


Marc Desse en concert:

– 10.07.14 à Paris, Place de la République (Festival Soirs d’Eté)
– 20.07.14 à Paris, Le Trabendo (Festival Bittersweet paradise 2014)
– 22.07.14 au Cap-Ferret, Place Ubeda (Festival Les Plages Pop)