La querelle des anciens et des modernes à l’heure d’internet.


« Pourtant, il faudra (…) attendre la patine des ans, et les albums suivants, pour savoir si l’Å“uvre tient plus de l’exercice de style dont les ruines disparaîtront sous les sables du temps, ou si, (…) se construira avec eux un édifice magistral résistant aux modes futiles. »
C’est ainsi que se terminait en ces pages la chronique du premier album de Foxygen, les ambassadeurs de paix et de magie de ce tout nouveau XXIème siècle. Le duo californien revient avec un album à la longueur du titre inversement proportionnelle à celle de l’album, en miroir du premier exercice.
…And Star Power, le pouvoir des étoiles donc. Celles-là mêmes qui brillent à des kilomètres d’éternité de nos scrutations ébahies. De la poudre aux yeux en quelque sorte. Le pouvoir de rêver ces mondes inaccessibles, ces contrées inexplorées, inexplorables. Et de toucher là du doigt, bizarrement, les limites d’une jeunesse trop dorée, trop gâtée.

Il en est ainsi de l’éternel combat des Anciens contre les Modernes, du regard interrogateur que peut poser tout tenant d’un certain passé assumé, tout propriétaire d’une histoire déjà écrite, sur la fougue de la jeunesse, sa naïveté et sa façon d’enjamber les barrières. Pourtant, la génération dorée de créateurs qui arrive dans les bacs de disques, cette génération née avec l’informatique, internet, le téléchargement, la communication mondiale et immédiate, est une génération qui se fera tirer dessus comme les précédentes. Ainsi, quand il fallait à un groupe trois, quatre albums pour enfin se révéler au public, sortir d’un relatif anonymat, il suffit maintenant d’un seul disque, d’une chronique bien placée, pour que le public soit informé à vitesse grand V de cette nouvelle sortie à l’autre bout du monde.
Quand il fallait à un artiste toute une vie pour s’imprégner du temps qui passe et de la couleur d’un instant, de la création émanant d’un autre être inspiré, assimiler au gré de ses recherches quelques années d’influences, en un clic, n’importe quel adolescent a accès à l’intégralité de ces savoirs en un instant.

Cette immédiateté a tué dans l’Å“uf le processus créatif comme il détruit tout recul de jugement, tout le temps de la réflexion, comme il occulte l’indispensable silence.
Foxygen est un groupe générationnel de cette immédiateté, de ce culte du bruit permanent. Enfants gâtés d’une culture (pour l’exemple musicale ici) à portée de main, d’un studio toutes portes ouvertes – après un premier album somme toute satisfaisant mais bien loin d’un unanime chef-d’Å“uvre – et carnet d’adresses des meilleurs dealers du coin à moindre frais.
En résulte un nouveau disque qui ressemble plus, quand le premier était un fragile ouvrage en suspension, un drôle de matériau composite ne reniant pas ses influences, à un tas de ruines encore fumantes et constamment piétinées.
Lou Reed, les Stones sont encore là, pas loin, mais inlassablement repoussés hors les murs d’un double album concept ahurissant où tout peut arriver, le meilleur comme le pire. Double album au découpage hallucinant : 16 titres d’un côté, 8 de l’autre. Quatre parties, des hits et des étoiles disent-ils, de la parano, l’enfer et l’amour qui résout tout. Un petit côté rédac de collège assez naïf et rigolo.

Mais – il y a un mais, oui ! – le disque réserve son lot de bonnes surprises, de bonnes idées, et quelques bons morceaux même : « How can You Really » ou la tétralogie « Star Power » (quand bien même est-elle déjà un poil – de cheveux sales – trop longue)… ou la partie paranoïaque très Pink Floyd circa Syd Barrett… Mais malheureusement, ces jolies chansons, ces supers idées sont noyées dans une production grassouillette où les voix se perdent derrières les échos de claviers ou les trémolos de guitare… culte du bruit donc. Ah ! Elle est belle la jeunesse ! Mais elle aurait mérité un bon coup de pied au derrière, un directeur artistique inspiré et peut-être un peu de recul sur elle-même et sur l’histoire du rock and roll pour ne pas paraître si prétentieuse ou ampoulée, tel un vieil ampli vintage.

Mais c’est aussi pour ça qu’elle est LA jeunesse, pour ses excès, sa folie, son irrespect. Il ne reste plus qu’à savoir qu’en faire, de cette jeunesse, canaliser cette fougue débordante et ce trop-plein d’influences… peut-être alors surgira un disque de ces ruines encore fumantes, un troisième album maîtrisé et serein. Une création enfin en phase avec ses créateurs et non plus un simple phénomène de mode et enfin s’inscrire dans l’histoire.