Le 8e opus des figures « indie pop » de Glasgow divise passionnément la Pinkushion Team. Aussi, nous vous proposons deux points de vue divergents. Soit deux chroniques pour le prix d’une.


Belle And Sebastian est ce groupe écossais qui affola les compteurs du petit monde indie il y a presque vingt ans par leur approche subtile et sensible d’une pop boisée d’un autre âge. Après le départ d’Isobel Campbell, le groupe continue néanmoins sa route et se réoriente musicalement. Abandonnant enfin une intransigeante posture indépendante, il assume son goût pour des productions de plus gros calibres, un son moins feutré, des chansons plus heureuses et rejoint le label Rough Trade.
Les tentatives pour relancer la machine auront plus ou moins de succès et la répétition systématique des schémas musicaux, malgré la bonne facture des chansons, finira par lasser : le groupe traversera la première décennie des années 2000 dans une relative confidentialité.

En 2015, difficile d’attendre encore quelque chose d’enthousiasmant chez le combo écossais, si ce n’est une nourriture nostalgique. Pourtant, il en faut plus à Stuart Murdoch et sa bande pour se laisser abattre. Les filles donc, en temps de paix, veulent danser… Ce sera le pied de nez de cet album au double visage. Sur la pochette, des blessés, des armes, mis en scène, comme souvent sur les couvertures très cinématographiques de Belle &Sebastian.

Les titres des chansons parlent d’empire, de ligne, de pouvoir et de paix mais aussi de littérature, « Everlasting Muse », « Enter Sylvia Path », « The Book Of You » ; tout est souvent très référencé culturellement. Le disque semble coincé entre deux guerres : costumes d’époque, remise en question et intense création artistique.
Et la musique alors ? Elle n’aura peut-être jamais été aussi jouissive chez ce Belle &Sebastian 2.0 !

Après un départ en chansons pop enjouées, toujours entrainées par ces suites harmoniques d’une redoutable efficacité et un piano coordonnant le tout, « The Party Line » offre un beat dansant et une voix trafiquée pour un résultat totalement addictif, pourtant si loin des ballades mélancoliques du groupe historique. Tout l’album va suivre ce principe oscillant entre guerre et paix, entre morceaux presque électro et pop désuète, toujours enchanté par la voix angélique de Stuart Murdoch. Qui aurait cru Belle &Sebastian capable de composer un titre euro-pop tel que « Enter Sylvia Path » ? Sa qualité de chanson pop (et ces artisans-là en connaissent un rayon) est indéniable, ses arrangements sont en revanche une trouvaille assez inédite (malgré de maladroites incursions sur les albums précédents). Voilà un groupe qui colle enfin parfaitement à son époque. Jamais il ne sombrera dans le cliché donc, en enchainant les morceaux mid-tempo et ceux qui feraient taper du pied, se résolvant dans l’étonnant « Play For Today » qui conjugue à la fois l’esprit new-wave 80’s sans tomber du mauvais côté surproduit de l’époque, et une mélancolie magnifiée par la voix féminine qui vient dialoguer ici : une des très belles réussites de ce disque sans temps mort ni déception.

Finalement, c’est une armée de la paix qui viendra clore le disque au son enfin apaisé d’un morceau qui n’en finit plus. Girls In Peacetime Want To Dance tient la promesse artistique de son contrat : arriver à faire danser entre deux guerres, se repaître des nourritures spirituelles sans oublier l’atrocité. Et d’ajouter que tout ceci n’est qu’un amusement bien léger et artificiel mais indispensable face à la dure réalité du monde.

Julien





Conversation imaginaire avec Cécile Aubry

– Bip… bip…bip…

– Allô, Cécile ?

– Oui ?

– Bonjour, je ne sais pas trop où je t’appelle là, mais j’ai un petit problème et j’aurais voulu m’entretenir quelques minutes avec toi pour t’en parler. Je suis en train d’écrire une chronique à propos du dernier Belle and Sebastian et je ne sais pas très bien quoi en dire. Tu te souviens au fait de Belle and Sebastian ? Si, si, rappelle-toi, ce groupe de jeunes passionnés et idéalistes écossais qui t’avaient gentiment demandé au milieu des années 90 d’emprunter le titre de ton livre pour l’attribuer à leur groupe.

– Ah oui, oui. Je me souviens très bien de ce garçon, là… Stuart Murdoch. Timide comme pas deux, qui semblait encore à l’époque à peine sorti de l’adolescence et qui préférait chuchoter de peur de lever trop la voix lorsqu’il chantait. À l’époque, je n’avais pas hésité une seconde à leur laisser emprunter le nom de mon roman tant je trouvais que leur musique crève-cÅ“ur influencée par les sixties et l’imagerie French nouvelle vague collait parfaitement avec celui-ci.

– Oui, et bien figure toi qu’aujourd’hui, ce groupe sort son nouvel album et je ne voudrais pas te le cacher plus longtemps, les choses ont bien changé. Je ne sais pas si tu étais une grande amatrice de pop music, mais si tu avais posé une oreille avant ton départ sur les albums If You’re Feeling Sinister ou The Boy with the Arab Strap, tu te souviens comme moi qu’il s’agissait d’une musique à la fois fragile et touchante qui avait su retourner comme une crêpe l’âme des incurables romantiques que nous sommes. Peut-être avais-tu eu l’occasion également d’écouter Dear Catastrophe Waitress, qui étonnamment à l’époque déjà, commençait à faire grincer des dents certains fans. Moi, personnellement, j’ai toujours adoré cet album dont la production plus musclée de Trevor Horn n’altérait en rien le charme des compositions de l’ami Murdoch. Ok, il y avait dessus « I’m a Cuckoo » et « Step into My Office, Baby » qui sortaient un peu du lot, mais on s’y retrouvait quand même largement avec « Piazza, New York Catcher » ou « Asleep on a Sunbeam ». Après ça, il y a eu le boiteux The Life Pursuit qui commençait un peu à donner des signes de fatigue. Mais rien de grave pensait-on encore à l’époque. Au fait, j’espère que je ne t’ennuie pas trop là ?

– Non, non vas-y continue…

– Donc, après The Life Pursuit, figure-toi qu’ils nous avaient sorti Write About Love en 2010. Hélas, juste un peu après ton décès. Donc tu n’as certainement pas dû l’écouter. Pour te le résumer, avec cet album, ça commençait franchement à sentir le coup foireux .Tu te rend compte qu’ils avaient même fait venir Norah Jones dessus !

– Pfffff !

– Ouais, je ne te le fais pas dire ! J’avais pensé aussi la même chose… Donc nous y voilà aujourd’hui avec ce nouvel album qui s’intitule Girls in Peacetime Want to Dance. Si j’osais te le faire écouter, je crois que tu l’aurais un peu mauvaise.

– Ah bon, et pourquoi ?

– Et bien écoutes, je crois qu’ils nous ont fait une mauvaise blague. J’ai l’impression sur certains titres qu’ils ont voulu la jouer à la Saint Etienne, mais qu’au final on se retrouve avec du Scissor Sisters ! Il y a bien toujours les voix de Stuart Murdoch et Sarah Martin qui transcendent même les titres les plus moyens, mais je ne retrouve plus l’essentiel de ce qui faisait les productions d’antan. Tu sais ces influences vaguement Northern Soul à la Dexy’s Midnight Runners… Là y’a bien des tentatives comme sur The Book of You, mais je ne sais pas, je trouve que cette fois cela ne sonne pas juste.

– Qui est-ce qui a produit cet album ?

– Ben Allen. Celui de Gnarls Barkley et Boyzone…

– Tu es de mauvaise foi ! Ce monsieur a aussi produit Animal Collective et Deerhunter.

– Oui, tu as raison. Mais je te jure, si tu pouvais entendre « The Party Line » ou « Enter Sylvia Plath » qui lorgne du côté des Pet Shop Boys, tu aurais comme moi aussi un peu envie de pleurer.

– Tu es sûre qu’il n’y a vraiment aucun titre à sauver sur ce nouvel album ?

– Si, bien sûr, « The Cat With The Cream » est très estimable. Tout comme l’est « Ever Had a Little Faith ». À condition bien sûr de ne jamais avoir écouté auparavant « Fox in the snow », « I Fought in a War », « The State I am in » ou « Dog On Wheels ». Tu sais quoi, maintenant je vais te laisser et je vais aller me promener dans les rues de Glasgow avec If you’re feeling sinister dans les oreilles. Car comme aurait dit Françoise Hardy, j’ai bien du chagrin…

Virginie