Le 6e album studio du trio DIY-punk du New Jersey, avec l’énergique Marissa Paternoster à sa tête, est à la fois le plus consistant et le plus accessible. De quoi enfin leur assurer une reconnaissance plus large ?


Avec le retour de Sleater-Kinney, et les émanations du groupe riot grrrl de l’Etat de Washington (Wild Flag en 2011, Ex Hex en 2014), ou encore l’éclosion récente de Courtney Barnett, les groupes de rock emmenés par des voix féminines semblent avoir le vent en poupe. C’est encore le cas avec le dernier album des Screaming Females, qui s’était déjà fait remarquer auprès d’un plus large public en assurant les premières parties de Garbage. Les deux groupes ont par la suite enregistré ensemble une reprise mémorable du « Because The Nigh »t de Patti Smith, à l’occasion du Record Store Day.

Dès l’introductif « Empty Head » et son riff très lourd, on sent la patte du producteur Matt Bayles (ex Minus The Bear), plus habitué à travailler avec des groupes de metal (on se rapproche parfois du son des premiers Black Sabbath). Avec sa production soignée, Rose Mountain apparaît plus efficace que son prédécesseur Ugly, enregistré avec Steve Albini. Les contempteurs de ce nouvel opus diront peut-être qu’il est également moins ambitieux, mais ils seront forcés de reconnaître que l’album recèle de chansons qui n’auraient pas dépareillé parmi les tubes indie rock des années 90 (les Screaming Females sont parrainés depuis longtemps par Dinosaur Jr, influence majeure du groupe, et ça s’entend).

La formule trio et la production laissent toute la place au chant de Marissa Paternoster, à ses riffs puissants et à ses solos épiques : la demoiselle n’a pas été élue 77ème meilleure guitariste de tous les temps par le magazine Spin pour rien. Cette voix si puissante (qui sait aussi se faire plus délicate, notamment sur « Rose Mountain ») à la tonalité grave est mise au service de textes décrivant le parcours médical récent de Marissa Paternoster, qui a enduré une méchante crise de mononucléose. « I said peel the skin row / Pinch ‘til our feelings gone », lance par exemple la chanteuse sur « Ripe ». Certains refrains, assez entêtants pour la plupart, traduisent une tension libératrice en évoquant la douleur passée.

Par rapport à ses précédents albums, le groupe se recentre donc sur ce qui fait sa marque de fabrique : le vibrato vacillant et le phrasé si particulier de Paternoster, les solos frénétiques de la chanteuse-guitariste, des riffs nerveux et ciselés et la puissance de la section rythmique, même si celle-ci peut faire preuve d’un groove plus rond et chaloupé. Il ajoute à ces ingrédients, qui font la signature stylistique des Screaming Females, un sens de la mélodie plus aiguisé (la mélancolie pop et le tempo ralenti de « Hopeless », les chÅ“urs légers sur « Rose Mountain », ou plus enlevés sur « Burning Car »).

Le groupe s’autorise donc quelques écarts à son éthique Lo-Fi (la guitare surf sur « Wishing Well », un orgue distordu pour clôturer « Rose Moutain », le piano sur « Criminal Image », en dialogue avec un riff que n’aurait pas renié un groupe de hard rock) sans pour autant remettre en cause son intégrité sonique et son étiquette de groupe underground. L’album s’achève d’ailleurs dans une ultime déflagration sonore.

Au final, on retrouve dans Rose Mountain l’équation puissance sonore/richesse mélodique jadis proposée par Rivers Cuomo, quand celui-ci exorcisait ses blessures dans l’énergie des guitares et les solos cathartiques. Et si les Screaming Females, après s’être taillé une légitimité avec des albums garage-punk abrasifs, reprenaient le flambeau de la power pop énervée là ou Weezer l’avait laissé, après Pinkerton ?