De retour parmi les humains le canadien Patrick Watson réinvente et humanise le langage machine sur son 5ème opus. Une fertile et enflammée déclaration de bips aux machines.


Watson acte un changement de cap conséquent au regard de sa discographie existante. Ce cinquième opus, Love Songs for Robots, regorge pourtant toujours d’émotions mais n’est plus construit sur les mêmes bases. Sa thématique – toucher au cÅ“ur et saisir son public – demeure, mais sa coloration diffère. La texture est dorénavant synthétique et électronique en lieu et place d’une tonalité acoustique. Les cordes hors sujet pour ce concept album ont elles aussi disparues. La formation canadienne se frotte à l’inextricable. Comment établir un langage commun à l’homme et la machine ? La musique comme trait d’union ? Il raisonne à l’instinct ; insuffler du vivant – des chansons d’amours – aux machines.

Mais son nouvel auditoire – une cohorte de robots impassibles et intraitables – reste stoïque. Les premières notes vont de suite modifier la donne et produire leurs effets.
Un continuum d’ambiances complexes et variées se met en place. Ce mille-feuille sonore ultra digeste est magique. La formule est stable, le professeur Watson est un scientifique reconnu mais avant tout un artiste lumineux. Multidimensionnel et construit sur un entrelacs de synthétiseurs et de circonvolutions de guitares – avec comme invités les percussions et le piano – ce folk progressif teinté de soul est à la fois dense et fragile. Un flux sonore positif se répand et fait son Å“uvre. Nos robots anorexiques réagissent au quart de tour. La machine se débride, les harmonies et mélodies fluidifient tous les rouages.

« Love Songs For Robots », premier morceau, s’ouvre en silence pour glisser et surfer en douceur sur une vague de synthés. La voix de falsetto, ronde et douce de Watson donne le ton mais garde le cap, balisée par quelques notes de piano subtiles. Ce titre éponyme fut inspiré par un de ses amis souffrant alors de sérieux problèmes de drogue. « J’avais imaginé comme pour un robot que tous les morceaux de sa tête avait été jeté par terre sur le plancher. Une fois son cerveau démonté il prenait le temps de le remonter et de remettre en ordre à sa guise tout son contenu. En évitant de remettre les parties destructives ! », expliquait récemment son géniteur *.

Pour l’élaboration de cet album le Montréalais s’est aventuré sur de nouvelles terres.
« Au commencement des répétitions, j’ai expérimenté pour moi-même des choses que je ne faisais jamais tel que du R’n’B ou du Hip Hop ». Le résultat final est inédit et spectaculaire. Cette nouvelle méthode de travail a donc portée ses fruits. Cerise sur le gateau, Love Songs For Robots ne livre pas aisément ses multiples secrets.
Watson poursuit : « Je suis à la recherche de morceaux qui me transporte quand je joue, qu’il n’y ait pas trop de pensées et de réflexions». Aujourd’hui son vÅ“u est exaucé au centuple. Car cet opus est tout entier consacré au rêve et au dépaysement. L’esprit cartésien n‘y a pas sa place.

« Good Morning Mr. Wolf », deuxième étape très inspirée, joue au montagne russe, le rythme s’envole et retombe au son de guitares slides et de synthés.
« Bollywood » aux antipodes des studios de Bombay, lui plonge dans un dédale d’ambiances atmosphériques et cinématographiques. Dans l’ intervalle se lovent deux-trois directions nouvelles susceptibles d’être la source d’un nouveau scénario ! Cet écheveau de rythmes et mélange de pigmentations accentuent avec bonheur l’accoutumance, en éloignant toute lassitude. « Hearts » et ses arpèges de guitares respire l’ambiance familiale et Montréalaise. Une pensée amicale pour Arcade Fire.

Autre merveille – « In Circles » – court interlude intimiste au piano, est hanté par la voie lointaine et en apesanteur de Watson. « Turn Into The Noise » lui est en rupture constante. Des boucles de soul et de blues coéxistent au rythme d’un métronome hypnotique. Haut dans les aigus la voix de Watson crève les plafonds. “Grace” autre perle de cet opus , mixe toutes les qualités dévelopées sur ce disque. On y croise même l’espace d’un instant quelques boucles d’un riff de guitare sortie tout droit de sa boite à souvenirs !

Pour achever les derniers pessimistes on citera l’éblouissante balade « Know What You Know ». Etirée sur plus de 7 minutes, le point culminant de ce rêve en technicolor glisse en pente douce sur la voie de l’extase. Magnifique, feutrée, planant et magique à l’image de la BO de Twin Peaks, ce titre est à écouter la nuit bien avancée, ou tôt le matin au levée du soleil, bref dans les conditions requises.
Si faiblesse il y avait, serait précité « Alone In This World » – un ton en dessous – pour l’unique motif d’une trop grande sagesse et d’un classicisme trop marqué. Un comble ! La musique électronique permet toutes les avancées mais pour Watson et ses musiciens (Joe Grass – guitare, Mishka Stein – basse, Robbie Kuster -batterie) la voie empruntée n’est pas pavée de bidouillages hermétiques mais de chaleur. Economie et classicisme des moyens mais franche réussite du ressenti.

Le soulèvement des machines n’aura pas lieu. Love Songs for Robots sera l’analgésique et la bande son salvatrice pour ces robots belliqueux et ces machines en mal d’émotions.

*extrait de l’entretien donné sur Source France Inter / l’album de minuit.