La formation culte d’Hoboken ralentie le pouls avec un recueil pop-folk mêlant reprises et de compositions originales, à la manière de leur vénéré Fakebook.


Il est unanimement entendu (reconnu) que Yo la Tengo n’a plus rien à prouver. Le trio du New Jersey, qui vient de fêter ses trente ans de carrière a contribué à définir l’esthétique du rock dit « alternatif ». Pourtant secrètement, nous rêvions depuis longtemps que le trio culte d’Hoboken enregistre un nouvel album dans la lignée de Fakebook. Vingt-cinq ans après la sortie de cet album charnière, nos vÅ“ux ont été exaucés. Et même au-delà, puisque le guitariste originel Dave Schram présent lors des sessions historiques est de retour, ainsi que le producteur Gene Holder.


Tout comme Fakebook, Stuff Like That There est donc constitué de reprises savamment sélectionnées et de compositions originales. Même concept, à la différence près cette fois que trois des cinq compositions originales sont déjà connues, tirées de leur illustre répertoire et revisités pour l’occasion. Si tout au long de sa carrière, la formation emmenée par le couple Ira Kaplan et Georgia Hubley a continué à enregistré une quantité impressionnante de reprises – et en a même fait une de ses spécialités (on en dénombrerait plus d’une centaine) – elle n’avait pas reconduit l’expérience dans le cadre d’un nouvel album studio.

La variété des titres choisis pourraient laisser craindre un disque dispersé, mais ce doute est vite écarté. Bien au contraire, Stuff Like That There déroule une subtile ambiance laidback, où les guitares semi-acoustiques et harmonies vocales raffinées caressent l’ouïe d’une douce plénitude. Le jeu arpégé et mélodieux de David Shram doit y être pour beaucoup dans la couleur pop feutrée de l’album. Point d’expérimentation bruitiste ni de larsen lancinant au programme, mais un disque où le charme repose sur son volume sonore ténu. D’ailleurs, la plupart des anciens titres sont retravaillés dans des versions délestées de leur tourbillon électrique : tel « All Your Secrets » sans son orgue (issu de Popular Songs) qui se présente dans ses nouveaux apparats aussi timide et charmant qu’une vieille chanson de Belle & Sebastian. Même traitement allégé pour le jazzy « The Ballad of Red Buckets » (initialement très dissonant sur Electr-o-pura) et le sublime de retenue « Deeper Into Movies » ( issu de I Can Hear The Heart Beating as One). Que ce soit un traitement hillbilly assez fidèle sur un morceau des icônes pop-folk sixties The Lovin’ Spoonful ou la soul cosmique de Parliaments, le quatuor y appose son sceau avec une élégance innée.

Un quart de siècle en arrière, et bien avant internet, Yo la Tengo faisait office de précieux passeur en nous ouvrant sa collection de disques érudite (comme les Flamin’ Groovies, et les méconnus en leur temps Daniel Johnston, Jad Fair…). A l’instar de Fakebook, Stuff like that… respire la transmission et une passion intacte pour la pop musique. Les reprises piochées sont en grande partie obscures (Great Plains, Antietam, The Special Pillow), sans négliger pour autant d’autres choix plus populaire (notamment « Friday I’m in love » de The Cure, délicieusement chanté par Georgia), parfois même des reprises détournées ( « I’m So Lonesome I Could Cry, » d’Hank Williams‘ inspiré ici par une version d’Al Green, difficile ceci-dit de rater un tel bijou). Georgia, notre Moe Tucker des années 90, pose sa voix quasi-susurrée sur les titres les plus marquants – les reprises de Darlene McCrea et d’Hank Williams. Plus en retrait que d’accoutumée, la voix d’Ira Kaplan se distingue toutefois par sa traditionnelle économie élégante sur « l desert rock Before we stop to think » des méconnus Great Plains et l’inédit « Awhileaway ». Quand aux deux véritables compositions inédites (« Rickety » et « Awhileaway »), elles se fondent parfaitement dans ce cadre intimiste et boisé.

Tout en grâce et retenue, Stuff Like That There donne à Yo la Tengo l’occasion de se faire plaisir dans un registre dont il excelle. Et on ne voit pas pourquoi le groupe s’en priverait tant le bonheur est ici encore partagé.

Yo La Tengo sera en concert le 23 octobre à la Cigale (Paris).