Une bande de gamins déjoue le piège du premier album connoté et surprend par son implacable maturité.


Qui aurait pu concevoir qu’un groupe que tout porte à détester – depuis les pleureuses jérémiades à la moustache hipster parisienne et maniérée – sorte certainement le meilleur disque de rock français de cette année ? Les gamins du XXIe siècle, à l’âge auquel l’on découvre normalement ce qui va plus tard forger une vie d’adulte, ont déjà assimilé en un temps-record les bases et de la chanson française et du rock anglo-saxon, la profondeur abyssale des relations humaines et la tragédie de la vie. Mais si cette génération 2.0 possède ainsi tout outil sous la main, Feu! Chatterton transforme chaque expérience en une expérience musicale : une telle maturité force alors le respect.

Formellement, le disque reprend deux titres du précédent et déjà convaincant EP qui avait mis la puce à l’oreille, le dorénavant mythique « Côte Concorde » et le discoïde « La Malinche », ainsi que le single « La Mort Dans La Pinède », incendiaires premières amours à la sauce pop rock. Mais le reste d’Ici Le Jour (A Tout Enseveli) est à l’avenant. Les risques musicaux y succèdent aux acrobaties textuelles. Et l’on songe aux grands disques de variété qui s’énoncent presque sans rougir, aux grands noms de la chanson et du rock français, à associer à ces insolents gamins, depuis la plume acérée jusqu’aux arrangements les plus fins, entre énergie et désespoir. Ce que l’on se gardera bien de faire tant la liste est longue et disparate, tant on laissera le soin à chaque auditeur de reconstruire sa propre histoire musicale et personnelle dans les chansons universelles de Feu! Chatterton.

Rock, swing, narration presqu’incantatoire, chacune des mises en son de ces expériences devient une preuve de cette maîtrise caractérisée : maîtrise rythmique et mélodique qui guident la narration, maîtrise textuelle de la métaphore où chacune des chansons est – dans une langue parfaite et moderne – un mille-feuille de lecture et d’interprétation. On palpe les hésitations le temps d’un « Léthé », le disco presque drôle d’un « Boeing », car le groupe aime le voyage et les citations, les avions et les bateaux, « Harlem » ou le Mexique, il se nourrit de ses propres expériences et de la vie qui le submerge.

Il y a pourtant déjà quelque chose de triste dans cette musique, dans ses textes, depuis le tragique « Côte Concorde » jusqu’aux traitements médicaux qui ouvrent (« Fou à lier ») et ferment le bal (« Les Camélias ») : ce n’est pas une jeunesse dorée mais par trop lucide. Le sommet « Pont Marie » – en plein milieu de l’album – en est l’illustration parfaite et réussie.Ce sont d’ailleurs ces dichotomies entre jeunesse et tragédie, maturité et folle inconscience, relecture des rêves adolescents et désillusion de la vie qui donnent à cet album une ampleur surprenante et déstabilisante.
Alors on s’assoit sur ses a priori, ses atermoiements et ses principes, on se laisse guider dans ce voyage imagé tout en relief. En songeant avec sourire aux lendemains qui déchantent.