Sur un troisième album soigné, la protégé de Wil Oldham élargit encore son lexique vocale, tout en se montrant un peu plus apaisée.


Seulement une voix nue et incandescente, une guitare sèche,  cernés par un silence réverbéré quasi mystique. C’est dans ce cadre rudimentaire et intimiste que nous avions découvert le premier EP d’Angel Olsen, Strange Cacti (2010). A vrai dire, on y entendait même que cette voix, déjà d’une grande versatilité, impressionnante alliance de colère et de fragilité. Une voix en constant équilibre sur un fil et qui donnait le vertige, comme pendu au-dessus d’un gouffre profond et insondable. Puis sur son premier album, Half Way Home (2012), la jeune femme au curriculum vitae intouchable (choriste notamment pour Bonnie Prince Billy) y entretenait cette épure et ses échos hantés, seulement secondée d’un guitariste. L’affiliation avec Chan Marshall pour le chant torturé, mais aussi les deux premiers albums crépusculaires de Leonard Cohen, relevaient de l’évidence.

Voilà deux ans, lorsque Angel Olsen est sorti de l’ombre en signant sur le label Jagjaguwar, sa musique a naturellement suivi la lumière. Succès critique et public, son second album Burn Your Fire For No Witness (2014) enregistré sous l’égide du producteur John Congleton, invitait dans son répertoire folk l’électricité, ainsi qu’une bruyante section rythmique, dans la veine des premiers PJ Harvey ou plus récemment Sharon Van Etten. Rien de bien novateur, mais cette colère amplifiée était sincèrement justifiée.

Septembre 2016, l’Ange Olsen, continue de dévoiler de nouveaux visages sur son troisième album, My Woman, épaulée cette fois par Justin Raisen, plutôt connu jusqu’ici pour ses productions electro pop (Charli XCX, Sky Ferreira). Sur ce point, le premier extrait dévoilé au printemps, “Intern”, laissait craindre un virage synthétique proéminent. En fait il n’en est rien, seuls ce titre d’ouverture et la dernière plage du disque (“Pops”, seule au piano) usent exclusivement de claviers. Pour le reste, l’album s’inscrit dans une veine instrumentale plus ou moins similaire à Burn Your Fire For No Witness (deux guitares/basse/batterie, quelques claviers ici ou là, mais rien d’envahissant). Ce qui n’empêche pas la jeune femme désormais âgée de 29 ans, de varier les humeurs à chaque chanson, et même de s’offrir parfois un peu de légèreté.

 

L’Américaine qui vit aujourd’hui à Ashville en Caroline du Nord se permet cette fois d’insuffler à son folk rock un supplément d’”âme”. En l’occurrence ici, celle de la soul pop sixties. Le virage est plutôt réussi sur le très pop “You’ll Be Mine”, qui pourrait passer pour un titre des Ronettes revisité sans les arrangements sirupeux de Spector. Ou de ralentir le tempo jusqu’au slow romantique sur “Heart Shaped Face”, aux paroles nettement moins rose, l’histoire d’une relation qui se désagrège, et où l’interlocuteur semble résigné.

Depuis ses débuts, Angel Olsen affectionne le thème de la rupture sentimentale, dans son versant obsessionnel voire aliénant. On la retrouve moins désespérée, et même capable de parler d’amour sans rancoeur, sur “Not Gonna Kill You” (“Let the light shine in” chante-elle) et “Shut Up and Kiss Me”, deux titres où des six-cordes brouillonnes à la Breeders donnent le change à des refrains pop parfaitement assumés.

Mais que ce soit dans un registre léger ou relevé, il n’y a jamais de superflue dans la musique d’Angel Olsen : le chant occupe toujours une place fondamentale. Sur le bouleversant « Sister », sa voix gravi les échelons d’intensité sur près de 7 minutes 30. Très certainement le prochain grand moment de bravoure en concert.

On ne peut que saluer cette volonté de progresser par ses propres moyens, sans (ab)user d’artifices extérieurs comme d’autres dès leur second album sont tentés par des velléités “orchestrée” ou autre production ambitieuse. Angel Olsen a conscience de ne pas encore être une grande guitariste, mais elle mesure parfaitement ses limites et sait les exploiter pleinement, avec une honnêteté confondante. Au service d’un chant qui a mué en évitant soigneusement l’autoparodie de la songwriter écorchée. Voilà pourquoi My Woman est son album le plus consistant à ce jour, à défaut d’être le plus hanté.

Jagjaguwar / Pias – 2016
Producteur : Justin Raisen


http://angelolsen.com/


En concert le 4 novembre à Paris, la Gaité-Lyrique

Tracklisting :
01. Intern
02. Never Be Mine
03. Shut Up Kiss Me
04. Give It Up
05. Not Gonna Kill You
06. Heart Shaped Face
07. Sister
08. Those Were The Days
09. Woman
10. Pops