Le groupe culte shoegaze interrompt avec brio un silence de 22 ans. Comme si de rien n’était ! 


Les plus beaux come-back sont bien souvent ceux qui nous prennent au dépourvu. Pour celui des discrets Slowdive c’est le cas. Aucun effet d’annonce. Le contraire aurait d’ailleurs été étonnant. Car ils ont traversé la décennie des années 90 en toute discrétion le regard fuyant fixé sur leurs pieds et leurs pédales d’effets ! Slowdive a en effet compté parmi les fleurons du shoegazing. Monté de toute pièce par la presse musicale British de l’époque (NME, Melody Maker), ce mouvement inonda un temps l’univers de la musique indépendante britannique. Initié par les frères Reid de Jesus & the Mary Chain et My Bloody Valentine, le genre a intronisé quelques très bonnes formations : Ride, Pale Saints ou Lush par exemple. Slowdive n’a jamais vraiment profité de cette hype. Rapidement dépassé par le grunge et englouti par la britpop émergente, ils seront même chahutés et raillés par cette presse influente mais finalement très superficielle. Le quintet de Reading avait à peine sa majorité quand il a intégré l’écurie Creation Records. Couvé par son mentor  Alan McGee – Rachel Goswell  voix et guitare, Neil Halstead guitare et chant, Nick Chaplin basse, Simon Scott batterie et Christian Savill guitare – graveront dans leur genre (un fin mélange de noisy pop et de dream pop) une triplette parfaite ; Just For A Day (1991), Souvlaki (1993) et Pygmalion (1995). Elle bâtit leur renommée – qui sur le moment – n’était pas apparue aussi définitive. Car à leur grand étonnement – et satisfaction – ils sont aujourd’hui une influence et un modèle pour quelques-uns (Tame Impala, Beach House).

La formation de Reading n’a pas raté la marche pour son retour. Elle retrouve même illico ses marques, et en apparence avec facilité et naturel. Ce retour est accueilli comme le messie par les afficionados aux tempes grisonnantes ; mais pour les autres ? Pour la nouvelle génération ? Une simple écoute devrait suffire, car ce nouveau 33 tours est tout simplement sublime, la musique y est magnifique et addictive.

Le désincarné Pygmalion en 1995 scella le sort des anglais. 22 années ont défilé depuis. Tous les musiciens ont gardé la main à l’exception du bassiste Nick Chaplin qui avait totalement abandonné son instrument depuis 20 ans. Rachel et Neil avaient poursuivi au sein de Mojave 3 et Neil en solo, avec respectivement dans leur escarcelle cinq et trois albums. Slowdive s’est reformé pour le festival de Primavera Sound à Barcelone en 2015 à la demande des organisateurs. Les musiciens enthousiastes décidèrent de poursuivre au-delà de cette réunion. La cerise sur le gâteau fut l’accueil qui leur a été réservé. Un studio connu du groupe pour le cadre confortable et pour retrouver ses marques – le Courtyard Studio à Oxford – et le tour est joué. L’album est mixé par Chris Coady.

Un écho lointain diffus, quelques distorsions délicates de guitares, une ligne de basse aux sonorités arrondies, des claviers atmosphériques, un motif répété de batterie, tout se met en place paisiblement mais crescendo. “Slomo’’ est le morceau des retrouvailles, il s’étire sur 7 minutes. Sa longue introduction de 2 minutes est irréelle, les arpèges de guitares sont cristallins. La voix fragile de Neil Halstead se mêle à celle spectrale et en arrière-plan de Rachel Goswell. Ce premier morceau multidimensionnel et mélancolique est parfait. Déjà on commence à lâcher prise. Son suivant et premier single extrait – “Star Roving’’ – nous remet dans le mouvement et fait tomber une certitude ; cet opus ne sera pas une extension de Pygmalion. Le tempo est musclé, on retrouve le son et les odeurs de la grande époque, les strates de guitares saturées sont impalpables. La voix de Halstead est noyée dans ce maelstrom. Avec ce titre le shoegazing renait de ses cendres et retrouve ses lettres de noblesse. Quelque part entre le meilleur de Field Mice et de Moose.

Sur “Don’t Know Why’’ Rachel Goswell fait son entrée en grande pompe. La batterie mène rondement la danse sur un lit de guitares limpides ; la voix fluette et rêveuse de Rachel s’élève en volute, elle apporte bien vite sa fraicheur dans un décor très popisant. Elisabeth Frazer des Cocteau Twins a trouvé sa sœur jumelle. L’introduction de ‘’Everyone Knows’’ est un hommage au jeu de guitares ciselé de Vini Reilly. Bien vite tout est submergé par une ambiance vaporeuse et noisy. La voie de falsetto de Goswell fait encore des merveilles. À chacun sa petite douceur, à chacun sa petite merveille. “Sugar for the Pill’’ est pour Neil Halstead. On se pâme, il a le vague à l’âme. Pas de larmes, ni de drames, juste un constat amer sur un amour qui se délite. La rythmique accompagne en douceur ce déraillement.

«Sugar for the pill, you know it’s just the way things are

Cannot buy the sun, his jealousy will break me whole»

“No Longer Making Time’’ est dépouillé et sobre dans sa première partie et laisse volontiers la voix de Halstead prendre le dessus. Mais le naturel ne tarde pas à reprendre le dessus ; une vague sonore et magnifique submerge alors le morceau, elle enveloppe tout ; ce morceau alternera entre ce flux et ce reflux sonore. Le jeu des guitares nous fait penser par moment au merveilleux The Chameleons ou plus récemment à Interpol. Les deux derniers titres “Go Get It’’ et “Falling Ashes’’ sortent de l’ordinaire, et de l’univers connu du groupe. Le premier est le plus expérimental, le moins structuré et le plus aventureux. Il recherche et sculpte les ambiances à la lisière du post rock. Le second est minimal. Une longue poésie sonore qui s’étire. Dans ce cabaret intimiste les voix de Neil Halsted et Rachel Goswell sont fusionnelles. Le piano est en tête d’affiche mais il ne recherche pas la lumière. Par intermittence aussi, ressurgit le souvenir musical de l’esthète Ian Masters sous l’entité Spoonfed Hybrid. Bref, ce disque ne pouvait trouver plus belle conclusion.

Son écoute semble inépuisable ; répétée en boucle elle n’entraîne aucune lassitude ni écœurement. Un signe qui ne trompe pas.

Label : Dead Océans – 2017

https://deadoceans.com/

https://www.facebook.com/Slowdive/

 

Tracklisting :

  1.  Slomo
  2. Star Roving
  3. Don’t Know Why
  4. Sugar For The Pill
  5. Everyone Knows
  6. No Longer Making Time
  7. Go Get It
  8. Falling Ashes