Sur Arrhythmia Stuart A Staples sort de sa zone de confort et de sa belle routine des Tindersticks ; sa musique est moins canalisée et plus détachée.


La promesse il y a quelques mois d’un nouvel album en solo de l’élégant leader des Tindersticks nous avait mise de bonne humeur. Voilà bien longtemps (très exactement 12 ans) qu’il ne s’était pas extirpé de sa troupe. Etant fortement accroc au spleen Tindersticksien, l’annonce d’un disque en solo de son leader est à coup sûr une source d’excitation ; on anticipe des compositions plus personnelles ne rentrant pas forcément dans le moule de sa formation.

Lucky Dog Recordings 03-04 en 2005 et Leaving Songs en 2006 – ses deux précédents opus en solo – sont deux œuvres solides et inspirées. Le soliste Staples n’avait à l’époque pas bâclé son affaire ni recyclé d’éventuelles chutes d’albums, bien que le terrain musical ne s’avérait pas plus novateur que cela. D’ailleurs, sur plus de 20 ans d’existence des Tindersticks, ses escapades ont toujours été très rares ; Staples ne semblant pas ressentir un besoin fou de s’exprimer en son nom propre. Le dernier opus en date des Tindersticks The Waiting Room était lui sorti des presses en 2015. Depuis, son travail se résume principalement à des sorties de bandes originales (la cinéaste Claire Denis est sa partenaire privilégiée et presque exclusive).

Le cerveau musical du dandy Staples est donc depuis bien longtemps partitionné en trois zones. L’hémisphère droit le plus développé consacré au Tindersticks, le gauche très visuel pour la production de ses nombreuses BO et la dernière – une zone plus diffuse et moins dense – dédiée à ses quelques sorties en solo. Cette aire auditive est aujourd’hui mise à contribution. Arrhythmia estampillée sortie numéro 3 en solo est dans la continuité de leur état d’esprit du moment, notamment du récent et complet travail (montage cinématographique et musique originale) réalisé par le groupe en 2016 et matérialisé par la sortie discographique : Minute Bodies: The Intimate World of F. Percy Smith.
Aujourd’hui Staples recherche l’épure et s’enfonce quelque peu dans l’expérimental et l’abstraction. Arrhythmia est construit sur 4 compositions. Sa base est sa face A (en raisonnant à l’échelle du vinyle) constituée des trois premiers titres les plus structurés et concrets.
Tout a débuté le jour de Noël 2016 et s’est prolongé tout au long de l’année 2017 (une année blanche pour le songwriter anglais).

“A New Real” est construit sur quelques pulsations organiques d’une boîte à rythmes. La voix voluptueuse et ardente de Staples s’intercale entre ces boucles rythmiques ; puis à mi-parcours les claviers, l’orgue et la boite à rythmes libèrent et dissipent alors un maximum d’énergie ; on n’est pas loin des ambiances les plus dynamiques (mais très contenues) des Tindersticks.
La transition avec “Memories Of Love” est sévère, Staples se prive alors de tout effet superflu, il ne reste qu’une mélodie minimale assortie de son timbre de voix lunaire. Le musicien anglais s’est littéralement volatilisé et sa mélodie avec. Le tempo est tout proche du point mort. Quelques percussions distillées  par les musiciens ainsi que quelques clochettes aux tintements magiques finissent de nous émerveiller. Stuart Staples atteint alors une forme de pureté musicale digne du maître en la matière, le désormais reclus et détaché Mark Hollis. Le troisième pas – “Step Into The Grey”- est le plus ‘tindersticksien’ de ce voyage, sans discussion possible. Le dernier tiers du morceau par contre s’échappe vers une expérimentation de cordes, de contrebasse et de percussions un brin stressantes ; nous sommes alors en plein climax d’un film haletant.

Sa face B elle promettait énormément ; à l’époque du communiqué de presse Staples annonçait un titre d’une trentaine de minutes. “Music for ‘A year in small paintings’” étire effectivement sa mélodie entièrement instrumentale sur une demi heure.
Dans la foulée de cette annonce, on s’était alors mis à fantasmer sur une composition à tiroirs aux multiples atmosphères avec un dédale d’ambiances ; une mélodie complexe constituée de plusieurs morceaux imbriqués les uns dans les autres ; en résumé une chanson ambitieuse qu’il ne se serait pas permis d’insérer dans un album des Tindersticks ; bref  ‘The morceau’ !
C’est une belle déception. Belle, car ce titre en soi est très agréable et très serein, le climat y est très contemplatif, c’est une vraie douceur assortie de cordes, de piano ou de clarinette mais le ‘percept musical (mélodie, harmonie et rythme)’ est quasi linéaire. La déception est donc là … elle est quand même de taille et elle ‘mesure’ 30 minutes !

Il y a bien longtemps, Stuart Staples a déménagé de Nottingham pour Londres (où sa carrière prendra son essor), puis il s’est ensuite isolé une bonne partie de son temps en Creuse. Ces magnifiques paysages et ceux des départements voisins notamment celui de la Corrèze (et son massif des Monédières) ont peut-être eu une influence bienfaitrice et minimaliste sur sa musique.

City Slang / 2018

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Tracklististing :

  1.  A New Real
  2. Memories Of Love
  3. Step Into The Grey
  4. Music For A Year In Small Paintings