Un rêve éveillé electro-folk très immersif signé Jackie-Lynn alias Haley Fohr, sur les traces de Casino Queen.


Alors que pullulent sur nos petits écrans des show-cases bricolés dans des cuisines d’artistes heureusement oubliés et des vidéos de chats déguisés par leurs maîtres en lapin de Pâques, Jackie Lynn vient nous proposer une histoire musicale certes plus radicale mais bien plus respectable.

Elle nous invite avec son deuxième album electro-folk, comme son héroïne « Jacqueline » à utiliser notre « miroir intérieur » pour apprécier les facettes de notre personnalité. Un lâcher-prise complet jusqu’à devenir, nous aussi, aussitôt paré de notre perruque, une  « Casino Queen » le temps d’une vidéo ou d’un confinement.

Jackie Lynn n’est pas une star, ni même une personne réelle, c’est un alter-ego créé par l’artiste Haley Fohr, basée à Chicago, qui enregistre également de l’indie-folk expérimental sous son autre projet Circuit des Yeux. Le premier album paru en 2016 racontait la vie fictionnelle de Jackie. Avec l’album « Jacqueline  » l’histoire se poursuit, racontée et incarnée ici encore par Fohr, mais cette fois avec l’aide d’un groupe de quatre musiciens composé de Cooper Crain, Rob Frye et Dan Quinlivan du groupe Bitchin’ Bajas.

Un rêve éveillé dans un motel à la Wim Wenders où les strass et paillettes de Haley Fohr ont remplacés le pull angora rouge de Nastassja Kinski, où les pulsations transcendentales et électroniques de Bitchin’ Bajas ont définitivement effacés les traces de Ry Cooder.

L’album, mixé à Electrical Audio par Cooper Crain, nous conte morceau après morceau les aventures « post-apocalyptiques » de ce personnage qui, s’il est terrien, a dû utiliser plusieurs pass navigo pour faire le tour du système solaire.

 

Derrière cette mise en scène cosmique qui aime brouiller les pistes et ces happenings qui nous font perdre nos repères, se révèle une belle profondeur. La voix fantomatique de Haley Fohr, qui semble être sur certains morceaux tels Casino Queen ou Shugar Water, hantée par Klaus Nomi.

On se laisse envahir par les paroles poétiques du récit de la vie de Jackie Lynn que le timbre masculin-féminin de Fohr véhicule avec un mystère pénétrant et envoutant.

Avec les titres comme « Short black dress » ou « Lenexa », ce récit devient tellement obscur qu’il en devient inoffensif. Devant nos yeux, les images de Jacqueline et des autres deviennent les nôtres. On réalise qu’elle nous a installé ou plus précisément téléporté dans un imaginaire où nous pouvons sans effort assembler toutes nos images, tous nos sons anciens et nouveaux pour former un tout consolatoire.

On retiendra le titre « Dream St. » qui est une ode à Ogden Street sa rue préférée à Chicago. L’une des rares rues qui coupe la ville en diagonal et qui faisait partie de la Route 66.

Le vidéo clip de « Dream St », réalisé par Tim Breene évoque Jackie Lynn qui traverse son passé en taxi sur le couloir des rêves. Un tourbillon ondulant sur le pare-brise. Un souvenir étincelant dans un nuage de fumée. Poussé par des forces invisibles avec une brassée de fleurs. L’ensemble du clip a été filmé sur un écran et dessiné sur du papier, qui, un peu comme les surfaces planes d’un vinyle, créent avec le son un espace profond.

On n’oubliera pas de passer par la case « Shugar Water » dont la vidéo réalisée par Jacob Forman met en scène deux acteurs différents jouent le personnage de Jacqueline. « Shugar Water a été conçu pour nous réunir tous ensemble », déclare Fohr. « C’est un appel pour que nous buvions tous dans la même tasse et que nous nous laissions aller. Cherchons à nous réfugier dans les bras les uns des autres. Perdons-nous sur le chemin du confort et de la fête. Nous avons besoin les uns des autres chaque jour (même si notre esprit ne nous le rappelle pas tous les jours). Ne vous perdez pas dans votre propre âme ! Et si nous n’étions, après tout, que des versions différentes de la même personne ? »

Vous l’aurez compris, plus vous chercherez, plus vous vous perdrez, comme nous nous sommes maintes fois déjà perdus sur la route sinueuse et délicieuse de Mulholland drive.

Laissez-vous plonger dans cet univers tourmenté et romantique, Vous y retournerez comme on retourne dans un refuge, un lieu pour se détacher des événements, comme pour apaiser nos préoccupations intérieures, qui la nuit ou le jour se réveillent avec l’isolement.

2020/ Drag City

https://jackielynn.bandcamp.com/album/jacqueline

Tracklisting : 

1. Casino Queen
2. Shugar Water
3. Dream St.
4. Robe courte noire
5. Lenexa
6. Odessa
7. Code de conduite du voyageur
8. Diamond Glue
9. Contrôle