Après des années d’errance, Boris revient à ce qu’il fait le mieux jusque là : du bruit, du bruit et encore du bruit.


Avouons le : depuis quelques temps, les relations entre le trio nippon et votre chroniqueur n’étaient pas des plus cordiales. Comme disait le grand Dominique : on n’imagine jamais vraiment qu’une histoire puisse finir si mal quand elle a commencé si bien. Elle avait pourtant très bien commencé cette relation avec les Japonais de Boris : un Absolutego d’anthologie pour les présentations puis un Akuma No Uta suivi d’un Boris At Last-Feedbacker- excellents. Tout augurait une relation stable, une réciprocité bienveillante sous le ciel du Drone, du Noise et du Psychedelic. Puis vint Rainbow (2006), Klatter, (2011) suivi d’un New Album catastrophique la même année, doublé d’un Heavy Rocks à peine meilleur. Noise, dernier effort en date du groupe confirmait l’inexorable descente aux enfers de la J-Pop et de l’émo des Japonais, semblant perdus dans les tréfonds de la médiocrité pour de bon. Toutefois, pour qui voulait bien passer outre ce rock par moment évanescent, ces mélodies sirupeuses et la production bubble-gum de Noise, le groupe revenait parfois à ses premières amours, (l’excellent Heavy Rain) sorti au milieu de ce marasme discographique, laissait entrevoir un espoir de réconciliation.

Alors quand votre chroniqueur apprit via leur Facebook que non pas un mais trois albums allait sortir sur leur propre label New Noise Literacy, c’est avec circonspection et un brin de scepticisme que nous accueillîmes cette nouvelle. Néanmoins, à y regarder de plus près, la sobriété des pochettes, le nom du label, le nombre de pistes sur chaque disque laissaient envisager un sérieux réchauffement des relations Sino-Pinkushionaises.

Qu’en est-il après écoute ? Allons-nous vers des tensions larvées ? Boris a-t-il creusé encore plus profond cette fois-ci ? Winter is coming ? Ne faisons pas durer le suspens plus longtemps, faisons notre la formule utilisée il y a peu pour le nouvel Apartments et disons le tout de go : Welcome Back Home Boris.

Bienvenue à nouveau donc vers des contrées inhospitalières, faites de bruit blanc et parfois de fureur, leur seyant mieux que ces habits de lumières et ces mélodies futiles. Mélodies pour lesquelles Boris fait ses adieux avec panache sur un « Surrender » ironique (présent sur le premier volet) où le groupe enterre la J-Pop à grands coups de pelles Noise. Cet enterrement fait, les choses sérieuses peuvent commencer.
Sur ce triptyque dédié au Bruit sous toutes ses formes, Boris développe sur le premier volet, le bien nommé Urban Dance, deux formes. D’abord un Drone/Doom lourd et étouffant, fil conducteur des trois disques, renvoyant le fan de la première heure quelques années en arrière, (Absolutego dans le rétro. Et ensuite un Noise au travers duquel le groupe démontre tout son savoir-faire : capable de le rendre léger et sautillant (« Un, deux, trois », en français SVP), le faire pencher vers l’expérimental pur ou même, plus surprenant encore, le rendre contemplatif et presque apaisé (« Endless »).

Ayant fait le tour du genre sur Urban Dance, Boris abandonne un peu l’aspect Noise de sa musique au profit des Drones et de l’Ambient pour le suivant Warpath. Ce second volet est probablement le disque le plus pesant, le plus oppressant du triptyque. Leur Doom lorgne plus que de raison vers le Funeral et ce, dès « Midglard Change »Â : le climat s’alourdit sensiblement, les doigts deviennent gourds, les riffs se jouent à une tension avoisinant les 0.5. Sur « Voo Vah », c’est encore pire (comprendre plus lent, plus lourd, plus désespéré) : le groupe a l’excellente idée d’ajouter à son Doom une couleur Ambient du meilleur effet. Et ce n’est pas l’ondulatoire et flippant « Behind The Owl », Drone/Dark Ambient à la Coil, qui va alléger cette sensation. Mais comme Boris a de la suite dans les idées, le trio va mettre dans « Warpath » quelques germes du prochain volet. En particulier sur le seul morceau noisy du disque, « Dreamy Eyed »Â : en y glissant du Harsh et du Glitch à l’intérieur.

Le troisième volet, Asia, comme son nom l’indique, développe plus le côté expérimental propre à la musique asiatique, à savoir le Harsh Noise de Merzbow ou Aube et un aspect accidentel/Glitch. Si « Terracotta Warrior » reprend le fil conducteur du triptyque et résume à lui seul toute la démarche entamée sur les deux volets (de l’Ambient, du Doom à la Sunn O))) avec un versant apocalyptique et spatial et ouvrant la voie à une suite Glitch vers les ¾ du morceau), les morceaux de conclusion, eux, ne sont que bruit blanc et tension, référence à leur collaboration avec Merzbow. Au fur et à mesure qu’avance le triptyque, le trio semble soudainement se souvenir de l’autre versant de son identité musicale, faite de guitares furieuses, atonales et d’accidents divers, plus extrême voire inaudible que leur J-Pop ou leur rock Shoegaze évanescent (quoi que tout dépend du point de vue où on se place) mais au final plus sincère dans sa démarche.

Avec ces deux heures moins huit de bruit (en comptant « Surrender »), Boris va certainement perdre tout ce « grand » public qu’ils avaient acquis tant bien que mal à mesure d’albums plus médiocres les uns que les autres mais il gagnera de nouveau le respect des fans de la première heure, bien contents de les voir revenir vers ce qu’ils font de mieux jusque là : du bruit bien lourd sous toutes ses formes. Après des années d’errance, c’est donc avec un plaisir sans égal qu’on les accueille de nouveau.