Cinquième album du songwriter troubadour, mélancolique patenté et déjà au panthéon des Beautiful losers.
On peut être né il y a 34 ans en pleine rébellion punk et en être sa parfaite antithèse. Point de rage héritée dans les gênes du natif californien Cass McCombs, mais une hypersensibilité et un vague à l’âme on ne peut plus singulier. Au creux de la douceur apparente de ses pop songs, il y a définitivement quelque chose de cassé, presque dérangeant, chez ce « Beautiful Loser ». Un mystère qu’il cultive au fil de ses paroles, d’une désespérance ordinaire inouïe. Au rayon ambiguïté des sens, la ballade de Roy Orbison « In Dreams » dans Blue Velvet de David Lynch, avait produit en nous ce même vertige.
Ici et là, il se dit que Cass McCombs, musicien troubadour, ne tiendrait pas en place, parcourant les États-Unis d’Est en Ouest, dormant parfois dans sa voiture. On raconte aussi qu’il a alterné les petits jobs, comme technicien de surface dans les toilettes d’un night-club de Baltimore, d’où cette réponse mémorable donnée récemment à un journaliste « Je pense que les gens devraient réaliser que chaque fois que vous jetez une cigarette dans l’urinoir, quelqu’un doit la retirer avec sa main.” Autre détail cocasse, les nouvelles technologies semblent être un mystère pour lui. À tel point que les médias désirant lui poser des questions sont invités à engager une correspondance par courrier « timbré ». Comme au bon vieux temps de Baudelaire.
Décalé, Cass McCombs l’est assurément. « Maladjusted », comme le chantait Morrissey, autre parolier romantique dont le pathétisme sublimait souvent les chansons. Le fait est que McCombs a considérablement élargi son aura depuis les faramineux Dropping The Writ (2008) et Catacombs (2009). Ces deux recueils recelaient quelques épanchements émotionnels dont nous ne sommes toujours pas revenus (notamment sur la terrassante valse « You Saved My Life »). Wit’s End rompt avec l’ascendance pop/folk des deux opus précités, la fin d’un cycle dirons-nous. Les nouvelles compositions, plus sensuelles, s’accompagnent essentiellement d’un clavier. Quelques rares cuivres viennent prolonger cet état langoureux minimaliste. Pourtant à chaque nouvel album, l’impression prédomine que le songwriter ralentit encore plus le tempo, supprime un instrument ou un refrain, pousse sa « prefection » jusqu’à un degré de dépouillement, une crudité qui ne l’autorise plus à une flamboyance dérisoire face à son désespoir.
Il faut être inconscient, ou sacrément innocent, pour ouvrir son album avec un son de synthétiseur aussi mièvre qu’une ballade eighties de Phil Collins. Et puis, sans crier gare, Cass McCombs nous remet sévèrement en question sur la piste suivante avec une ballade en porcelaine, « The Lonely Doll ». Les chansons de Cass McCombs n’ont rien de parfait, mais ces morceaux ocres et funestes nous ouvrent un autre monde, une mélancolie perturbante, car latente (« Buried Alive »)… Il tire de ses maladresses quelques fulgurances bouleversantes, comme sur le final « A Knock Upon the Door », neuf minutes d’ivresse cuivrée dans la trajectoire oblique d’un Tom Waits… Au pic de sa dépression, la délicatesse de « Hermit’s Cave » est perturbée par un bruit de caisse claire qui vient volontairement se poser comme un cheveu sur la soupe. Cass McCombs aime pervertir sa beauté de quelques touches aigres, là est tout son génie.