Quelques questions au musicien français Maxime Vavasseur qui dévoile prudemment mais sûrement sa « géographie intime ».


Vos premières productions remontent à 2010, et sont donc plutôt récentes. Pouvez-vous nous raconter un peu votre parcours jusqu’à ce premier LP ?

Avant Witxes il y a plusieurs groupes dans lesquels j’ai été impliqué à différents degrés, entre autres, Haunted Candy Shop, groupe de pop progressive mielleuse et Solyaris, formation instrumentale aux ambiances lourdes… Toutes ces formations ont périclité et j’en ai profité pour passer à la réalisation de certaines idées que je n’avais fait qu’effleurer dans ces précédents projets. J’ai donc commencé au printemps 2010 avec pour objectif d’être en mesure de présenter ce nouveau travail en fin de cette même année, c’est ainsi que Scrawls #01, compilation d’esquisses a vu le jour. Cela m’a permis de commencer à tisser des liens dans un nouveau milieu avec lequel je n’étais que vaguement connecté, rencontrer les gens d’Humanist Records qui m’ont rapidement demandé d’enregistrer un premier album pour eux mais aussi d’être invité à ouvrir pour Tim Hecker par deux fois, pour Julianna Barwick, Chelsea Wolfe, Christina Vantzou ou encore Colin Potter. De riches expériences et rencontres en parallèle à l’enregistrement de ce qui allait devenir Sorcery/Geography.

Votre premier opus réussit à harmoniser des sonorités très différentes tout en gardant un aspect très homogène, qui fait qu’on a un réel sentiment de déplacement avec une écoute unifiée, comme sur un long et unique morceau.
Quel est le fil rouge qui relie tous ces sons et quels effets voulez-vous avoir sur l’auditeur avec Sorcery/Geography?

Sorcery/Geography est la reconstruction sonore d’une géographie intime. La géographie est une science précise, exacte, riche en données, mais qui a la faculté d’être transcendée par notre expérience d’un territoire, d’un espace, d’un lieu mais également par l’imaginaire lié à ces lieux. Cette manière dont notre corps et notre esprit compilent et mettent en perspective des données scientifiques, notre imaginaire et notre expérience réelle des lieux est un véritable exercice proche de la sorcellerie. L’auditeur fait pour ainsi dire le travail inverse du mien puisqu’il décompresse les informations qui lui sont fournies, les compile avec ses sensations, émotions et son intellect pour recréer un espace géographique intime et unique. J’essaye de faire en sorte que l’auditeur soit pris au cœur de ce processus. Je tiens à ce que cela puisse autant se faire activement que passivement.

Les musiciens «Â expérimentaux » travaillent la plupart du temps avec le «Â hasard », ou sur un petit échantillon de départ qui se voit ajouter des couches par la suite, remanié et enrichi. De quelle manière travaillez-vous ? Par expérimentations ? Par improvisations ? Quel a été le travail compositionnel fourni pour Sorcery/Geography ?

Witxes est un projet chaotique. Il n’y a pas une seule manière de créer, il n’y a d’ailleurs pas de procédé expérimental à proprement parler. Parfois, il s’agit de choses au départ très composées, écrites, souvent à la guitare, parfois au piano, qui avec le travail et la transformation dérivent très loin de leur point de départ. À l’inverse, certaines pièces sont basées sur des improvisations qui sont retravaillées, découpées, structurées et parfois complètement réécrites de façon plus rigoureuse. Aucun titre extrait de Sorcery/Geography n’a vraiment suivi la route qu’il prenait au départ mais ils ont tous rejoint cette même idée. Un morceau aussi épuré et simple que « No Sorcerer of Mine », par exemple, était à la base un morceau très électrique et brut qui subissait une forte déformation d’un riff de guitare électrique. Au finale, je n’ai gardé que l’essentiel de ce riff pour créer cette respiration nécessaire à la fin de l’album. Si il y a une constante sur ce disque et dans ma manière de travailler, c’est peut être l’idée d’allier en permanence des définitions sonores très diverses, de marier lo-fi et hi-fi, varier les sources sonores, les prises de sons, les traitements appliqués. C’est important que les sons questionnent l’auditeur, le perdent, le perturbent, le projettent en des lieux inattendus.

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D’une manière très courte, l’album se clôt, avec « No Sorcerer of Mine », sur lequel vous chantez. Quel rôle donnez-vous à la voix ?

Pendant longtemps j’ai chanté, en solo puis dans mon groupe, Haunted Candy Shop. J’ai adoré cela. Et puis, avec le temps, je n’ai plus aimé ma façon de chanter et je ne trouvais plus ma voix. Ce n’est que depuis quelque temps que je me suis remis à écrire des morceaux avec de la voix, mais je suis très lent parce que l’écriture compte pour moi et je ne me considère pas vraiment comme un auteur, c’est donc d’autant plus difficile. Sur Sorcery/Geography, il y a des voix traitées et déformées, utilisées comme des instruments comme sur « Thirteen Emeralds » et « The Reason ». Cette approche m’intéresse particulièrement. En revanche, « No Sorcerer of Mine » utilise la voix d’une manière plus classique. En réalité, la voix met ici fin à l’album, elle offre un réveil et une conclusion pleine de respirations, de silences. Ce morceau est à la fois diamétralement opposé au reste de l’album par la forme et totalement cohérent sur le fond : les quelques mots ici chantés sont la somme des quarante minutes qui viennent de s’écouler. J’ai des idées assez précises de la place que pourrait prendre la voix dans Witxes, mais seul le travail et le temps diront si cela est pertinent.

Quels sont les musiciens ou la sphère musicale avec lesquels vous vous sentez en affinités ?

C’est très difficile à dire… En termes de public, de presse, d’étiquettes, je suis souvent associé à «Â l’ambient music »… Je comprends le parallèle, je comprends les liens qui se font par l’esthétique, par la forme, mais en même temps, je trouve ça assez réducteur parce qu’au finale, j’ai l’impression de toujours composer une certaine forme de pop, comme à l’époque de certains de mes groupes. Ma musique n’est pas expérimentale, pas si difficile d’accès en ce sens qu’elle ne nécessite à mon sens pas de clés pour l’appréhender. On ne peut pas dire qu’elle s’affranchisse des codes existants, mais plutôt qu’elle tente de jouer de tout cela. Bref, pour revenir plus précisément à ta question, je ne me sens au final pas plus d’affinités avec les milieux ambient music / drone que des gens qui font de la pop baroque, du prog érotique ou de la minimale. Parmi les groupes qui m’influencent le plus, tu ne retrouveras pas forcément des gens qui viennent de la sphère «Â ambient », c’est plutôt en faisant cette musique et y étant associé que je suis venu à eux. C’est par exemple ce qui s’est passé avec Tim Hecker, que j’aime beaucoup parce qu’il a justement une approche très pop et mélodique dans lequel je me retrouve.

Si tu me demandais de choisir entre passer le reste de ma vie à écouter de la musique ou bien à faire de la musique, je serai bien incapable de choisir. J’ai une passion dévorante pour la musique, j’écoute, je cherche, je me documente, je digère de la musique continuellement, une vraie boulimie. De Low à Textures, de Talk Talk à Meshuggah, de Earth à Genesis, de Kranky à Spectral Sound, de Ravel à Will Oldham, de Gas à Dirty Three, de Bohren à George Michael, de Ben Frost à Blonde Redhead, etc. Parmi mes disques préférés de l’année dernière on retrouve bien sûr le Tim Hecker, mais aussi HTRK, Psychic Paramount, Implodes, Andy Stott, Haxan Cloak, Thundercat, Puzzle Muteson ou Illuha… Pour 2012, pour le moment, tout en haut il y a Clear Moon de Mount Eerie, mais aussi les albums d’Orcas, Mothlite, Oren Ambarchi, Attilio Novellino ou l’EP de Kane Ikin. J’ai acheté le dernier The Invisible il y a 48h et je l’ai déjà écouté 5 ou 6 fois, très grande classe.

Comment s’est faite votre rencontre Lawrence English, qui a masterisé Sorcery/Geography ?

Ce qui s’est passé, c’est que les gens qui ont participé à l’album étaient totalement étrangers à la musique que je faisais, en termes de construction, d’écriture et d’esthétisme. C’est également un projet sur lequel j’ai réalisé énormément de choses moi-même (à l’exception de l’enregistrement des instruments acoustiques non traités, réalisés au studio Mikrokosm où Benoît Bel m’a également aidé sur la finalisation du mix, mais aussi quelques enregistrement additionnels faits par Michaël Mysak, avec qui j’ai joué et qui avait masterisé mon précédent EP – Winter Light Burns sorti chez Feedback Loop. En partant de ces deux constats, je me suis dit qu’il me fallait quelqu’un qui puisse avoir un certain recul sur mon travail sans pour autant le connaître, quelqu’un qui saurait, si ce n’est saisir le fond de ma musique, appréhender sereinement cette forme de création. J’ai hésité entre deux artistes, Lawrence English, dont j’adore les travaux et le label, et James Plotkin. Lawrence a répondu plus vite. Il a écouté « The Reason » dans une version presque terminée, et m’a dit qu’il serait intéressé pour le faire. Au final, je pense qu’il était plus approprié pour ce disque. Mais j’aimerais beaucoup faire quelque chose avec Plotkin dans l’avenir. Le mastering est l’étape la plus technique dans la chaine de création d’un album, celle qui parfois n’a aucune part dans l’artistique, et c’est exactement ce que je ne voulais pas, donc je me suis tournée vers des artistes qui ont des partis pris assez forts.

Comment est reçu ce premier album ?

C’est encore difficile à dire. Les gens me font de bons retours, certains me disent avoir vécu quelque chose de fort à travers lui, mais ça reste encore très confidentiel. J’espère aussi que cette musique trouvera son public, en particulier au-delà de l’ambient music… Je crois que le caractère «Â pop » de cet album est encore trop sous-estimé ! Demie-blague à part, je souhaite que cet album permette à Witxes de poser les fondations d’un projet qui s’inscrit dans la durée.

Quels sont vos projets à venir ?

Faire beaucoup plus de concerts, emmener cette musique un peu partout, la travailler jusqu’à lui donner une forme live qui me satisfasse pleinement. Les deux univers (studio et live) sont très différents pour ce qui est de Witxes. En parallèle aux performances en solo que je donne pour le moment, je pense monter une version «Â ensemble » de Witxes avec plusieurs musiciens et amis pour pouvoir donner des concerts plus forts, plus riches en matière…
Pour ce qui est de la création, je vais me remettre à l’enregistrement dès cet été et j’ai également quelques collaborations qui s’offrent à moi. J’espère pouvoir collaborer avec des chorégraphes, vidéastes ou plasticiens, puisque c’était l’un des points de départ du projet.

Ecouter « Unlocation » :