Marquant l’essai, sans toutefois totalement le transformer, ce jeune quatuor estonien s’échine avec son second album à situer son pays d’origine sur la mappemonde de l’indie-pop. Un sacerdoce qui lui vaut toute notre estime.
Lorsque l’on pense pop habitée et mélodies radieuses, l’Estonie n’est bizarrement pas le nom qui nous vient le premier à l’esprit. Communément plus connu pour ses talentueux sportifs que pour ses formations indie, ce pays d’Europe du Nord a pour plus fameux et récent fait d’arme en matière de musique d’avoir remporté le prix de l’Eurovision en 2001: c’est dire si cela fait rêver! Mais la donne est en passe de changer à une échelle toute relative, à l’intérieur tout comme à l’extérieur de ses frontières et ce, par le biais d’un artiste (le talentueux Ewert accompagné de ses deux dragons, en vérité au nombre de trois) et de son label (le toujours pertinent bordelais Talitres). Transcendant les idées reçues que d’aucun se sont faits sur la musique de cette partie du globe (soit de la pop sirupeuse ou de la musique traditionnelle n’intéressant que les ethnologues et autres historiens régionalistes), Ewert and The Two Dragons s’efforce, avec la conviction chevillée au corps, de nous servir une musique universelle, donc apatride, et qui aurait pu voir le jour aussi bien à Manchester, Montréal ou Clermont-Ferrand: bel exploit dès lors que l’on sait d’où vient la formation.
Voici donc un album (leur second en l’occurrence, le premier sorti il y a deux ans sur un label local n’ayant jamais atteint nos oreilles) aussi charmant que charmeur, et à même de faire la nique à moult autres bien plus célébrés de ci de là. L’instrumentation y est riche et luxuriante, la ferveur incontestable et l’interprétation irréprochable. Du beau travail, avec même, quelques titres qui pourraient aisément se tailler de jolies places au sein de certaines playlist. Clairement, nous somme en présence de chansons: de vraies, pops et entraînantes, axées sur les refrains sans négliger les couplets, composées avec un savoir-faire qui peut vraiment impressionner pour une formation si jeune.
Mais – car il y a un mais aussi minime soit-il – bien que sur le plan du songwriting Good Man Down soit une incontestable réussite, il est étonnamment agencé, souffrant en cela d’une légère carence d’homogénéité. Ainsi, partant d’un postulat de départ très primesautier ( »(In The End) There’s Only Love » solaire comme le Magic Numbers des deux premiers albums, »Jolene » heureux comme du I’m From Barcelona en formation réduite), il glisse progressivement vers quelque chose de plus sérieux et sentencieux ( »Panda » intense comme Twilight Sad en mode acoustique, l’accent en moins, »Burning Bush » et son piano martelé comme chez Perfume Genius), gagnant en profondeur (la folk concernée de »The Rabbitt »), si bien que l’on peut avoir la sensation que ce n’est pas le même groupe qui a composé et joué les chansons ouvrant l’album et celles le clôturant. Est-ce un atout ou un handicap ? Libre à chacun de se faire son opinion. Nous concernant, impossible de trancher véritablement le niveau d’écriture étant, à d’être uniforme, tout du moins relativement convaincant. Mais là où nous sommes pétris de certitude, c’est dans le fait que les chansons gagnent en qualité et en densité à mesure que l’album déroule son tracklisting, aboutissant même sur du solennel avec le magnifique »Falling » et, surtout, du merveilleux et de l’orageux avec »You Had Me At Hello », morceau visant – et touchant – au cœur l’auditoire de The National ou IlikeTrains (soit deux formations passées elles aussi chez Talitres, est-ce un hasard?).
Par delà, donc, nos quelques menues réserves voilà un premier contact extrêmement concluant grâce auquel on ne regardera plus l’Estonie de la même façon ce qui, en soit, est plutôt un très bonne nouvelle. Ne reste désormais à Ewert and The Two Dragons qu’à confirmer tout le bien que l’on pense déjà de lui pour que nous passions de simples sympathisants à adhérents à sa cause. La balle est dans son camp.
Ewert and The Two Dragons – « Good Man Down » (official video)