Sixième offrande instrumentale pour le quatuor texan, imperturbable dans sa mélancolie épique post-rock.
C’était il y a une décennie déjà. Comme toute vague ayant déferlé massivement, celle post-rock s’est lentement mais sûrement érodée tel un château de sable. Le vent a tourné, peu de grands noms ont depuis émergé. Parmi la poignée de formations avançant désormais contre vents et marées, Explosions in the Sky constitue indéniablement la plus adulée avec Mogwai. Cas plutôt exceptionnel dans les annales du post-rock, le quatuor instrumental d’Austin a même su admirablement rester intègre au gré d’une discographie – bien que peu prolifique – d’une constance remarquable. Soit quatre albums égrenés en dix ans (en excluant une BO, un EP et leur premier album « amateur » paru en 2000 ), sans que nous ayons à constater le moindre affaiblissement sur l’héroïque triplé Those Who Tell the Truth Shall Die / Those Who Tell the Truth Shall Live Forever (2001), The Earth is Not a Cold Dead Place (2003) et All of A Sudden, I Miss Everyone (2007).
Ajoutez enfin quelques concerts mémorables donnés sur une péniche parisienne miraculeusement insubmersible, on comprend pourquoi son public adepte de sensations fortes lui est resté fidèle corps et âme. Ce, en dépit des échéanciers de sortie de plus en plus distants.
Voici donc pour l’état des lieux à l’heure où paraît Take Care, Take Care, Take Care, ultime tour de force signant la fin de quatre années de retraite. Sans opérer de grandes manœuvres dans les fondamentaux appliqués depuis ses débuts (la petite annonce locale stipulait « Recherche : Groupe de rock triste, triomphant »), le quatuor d’Austin est devenu avec le temps maître dans l’art du crescendo tragique, à donner le vertige aux dyonisies. Au fil des ans, leurs cheminements instrumentaux ont mué d’une colère sourde, saturée, vers une dynamique mélodique nettement plus claire et distincte – ces arpèges à la tristesse insondables-, point de rencontre entre une mélancolie à la fois bruineuse et exacerbée, et une rythmique rock vibrante.
Et ce cinquième opus n’y fait pas exception, même si quelques plages atmosphériques, voire contemplatives (comprendre augmentées de claviers), investissent le versant épique : en témoigne « Human Qualities », dont la tempête ne se lève qu’après six minutes de no man’s land. Il est peut-être regrettable qu’EITS persiste depuis trois albums à vouloir magnifier les mêmes abysses tourmentées. Mais qui, dans leur domaine, peut se vanter de faire mieux ? D’autres ont essayé d’explorer de nouvelles voies sans s’avérer convaincant – le chant, par exemple, avec Silver Mt Zion, Mogwai et l’électronique. Explosions in the Sky se contente de perfectionner son art et ce n’est peut-être pas plus mal. Les arpèges croisés de la paire guitaristique Munaf Rayani/Mark Smith, leur marque de fabrique, ont conservé tout leur magnétisme. Notamment sur « Postcard From 1952 », le grand tour de force de l’album, dont la progression dramaturgique est le théâtre d’une mise en scène implacable. Plus hésitants, « Last Known Surroundings » et le final « Let Me Back In » tirant sur dix minutes, ont néanmoins leurs moments de grâce. Lorsqu’il évolue dans des territoires déjà conquis, le roi Explosions in the sky n’est toujours pas inquiété.
En dépit d’une évolution désormais en berne – douce ironie du genre ainsi nommé – le post-rock a encore de beaux restes, en atteste récemment l’excellent album de Wire, Under Tension. L’influence du genre sur certains groupes majeurs d’aujourd’hui se fait toujours entendre. Au même titre que Godspeed You ! Black Emperor , les instrumentaux épiques du quatuor texan ont indubitablement ouvert la voie à des groupes comme Arcade Fire ou The National. Il y a dans cette façon de se transcender, cet embrasement collectif, une ferveur identique.
Explosions in the Sky – « Trembling Hands » :