On se languissait du retour du songwriter casanier de Toronto après quatre ans d’absence. Il nous revient plus posé, au piano, avec une agréable sensation d’ouvrir les fenêtres pour laisser rentrer l’air… et de respirer.
Toronto. Son lac Ontario, ses parcs verdoyants surpeuplés d’écureuils, son quartier d’affaires avec ses buildings skyline, ses ours flanqués comme mascottes à chaque enseigne commerçante et ses monuments locaux… tel Neil Young. Difficile si l’on traverse sa ville natale de contourner l’aura de cette légende vivante. Surtout lorsque ce quelqu’un a établi voilà plus de quarante ans les tables de loi du folk-rock neurasthénique à tout un pan du continent nord américain et bien au-delà des océans. On n’ose alors imaginer la secousse procurée par After The Goldrush sur le jeune « local boy » Hayden Deysser. Le Loner posé en guide spirituel – et voisin de surcroît – lui indiquait le chemin à prendre. Un chemin dont Hayden n’a pas dévié depuis ses débuts, il y a presque quinze ans : douce mélancolie rustique enregistrée seule dans son salon. Une musique d’une beauté à la fois rupestre et aussi chaleureuse qu’une buche jetée au feu – les inoubliables Skyscraper National Park (2002) et Elk Lake Serenade…(2004).
La méthode d’écriture du songwriter à la voix nonchalante inimitable n’a pas vraiment évolué depuis son premier album, empoignant au gré de son humeur le manche de sa guitare ou un piano usé, pour faire germer ses folk songs. Mais qu’est-ce qu’on aime s’enfoncer dans ses chaussons confortables… Le temps s’écoulant, ce garçon à la tignasse frisée abondante a acquis une bienveillante sagesse et se bonifie. Tandis que lui a pris du recul, la dépression jouvencelle a filé. A tel point que désormais le temps ne compte plus vraiment, entre chaque nouvel album la distance s’allonge – quatre années séparent In Field and Town d’Elk-Lake Serenade (2004). L’année dernière, le multi-instrumentiste s’est attelé durant neuf mois – un record! – à l’enregistrement de son dernier recueil de folk-songs tranquilles. Inversement, cette attente nous en devient difficilement supportable.
Des débuts orageux au milieu des années 90 – il a été un temps associé au mouvement slowcore, pour ses lentes et splendides progressions d’accords -, Hayden s’est ainsi mû en tendre nounours replié dans sa grotte, sans hiberner pour autant. Son chant éraillé en perpétuel vacillement ne griffe plus depuis longtemps, mais émeut singulièrement. Impression accentuée sur In Field and Town, où les touches noires l’emportent sur les cordes d’acier tendues. Ce piano tremblant, quasi-omniprésent, est propice aux vibrantes ballades, telles l’intense “Lonely Security Guard” et la minimale “The Hardest Part”, où cette fois Hayden soliloque, seul au monde. Suspendu à ses notes, le songwriter devient ultra-sensible sur “More Than Alive”, constat optimiste d’après rupture sentimentale. Une chanson qui ne s’efface pas. Des moments enjoués, on en trouve aussi beaucoup, avec des trompettes qui se font plus insistantes que d’habitude et fanfaronnent sur “When and When”. “The Van Song”, histoire pour la route autour d’une relation un peu folle et prise sans distances. Hélas, parti à la recherche de nouvelles sonorités, Hayden s’empêtre ensuite un peu sur “Worthy of Your Esteem” où un synthé somnolant manquerait de nous faire rater le prochain arrêt de bus. Heureusement, le retour aux sources des guitares électriques indomptées et insomniaques, sur “Did I Wake Up Beside You ?”, réveillent magistralement la noirceur de Tonight The Night.
Tout n’est pas si noir avec Hayden, l’homme éprouve plutôt de la nostalgie. Les couleurs un peu jaunies d’In Field and Town réconfortent plus qu’elles n’affectent. Scandaleusement sous-estimé, Hayden constuit pourtant une carrière dans la durée. Il est indiscutablement ce qui est arrivé de mieux à Toronto depuis Neil Young. Des musiciens de cette trempe n’ont même pas l’honneur d’être distribué en France. Il y a des omissions qui relèvent du crime de lèse-majesté.
– Le site officiel d’Hayden
– Lire également notre chronique d’Elk Lake Serenade…
– Lire également notre entretien avec Hayden (2005)