Musicien et songwriter britannique au passé glorieux, l’ex The Loft confirme son retour. Sa nouvelle boite à chansons exhale la tranquillité, le détachement et la saveur du lait de grand-mère !


On dit d’une femme maquillée qu’elle émet des ondes positives. À contrario, Split Milk, le nouvel opus du vétéran Astor est d’un naturel désarmant. Sans fard, épuré et homogène, il baigne dans la simplicité et diffuse son faisceau d’ondes sonores positives. De surcroît, il est interprété par une formation concentrée sur l’objectif que l’on devine sereine et non stressée.

Écouter en 2016 de nouvelles compositions du Britannique – écrites et interprétées à l’ancienne – est un événement dont on se délecte. Car Peter Astor fait partie de la grande confrérie des musiciens ignorés mais que l’on apprécie. Il contribua magistralement en son temps, sous la bannière – The Loft (1982) et The Weather Prophets (1986)- aux balbutiements et à l’expansion de Creation Records. Ce fameux et exaltant label anglais propriété du visionnaire et inspiré Alan McGee a au même titre que 4AD, Factory ou Rough Trade alimenté au gré de ses sorties une scène que l’on ne tarda pas à baptiser Indie. Chaque sortie de Creation était guettée par une cohorte de passionnés. Les pointures se sont bousculées au portillon : My Bloody Valentine, Felt, Primal Scream, Ride, Slowdive, Teenage Fanclub, Television Personalities ,The Boo Radleys, The House of Love, The Jazz Butcher, The Jesus and Mary Chain, The Pastels …

La croissance de cette scène fut exponentielle et boostée par la presse musicale british de l’époque. Les hyper actifs NME, Melody Maker et The Sound – alors à leur apogée médiatique – ont redoublé d’ingéniosité pour maintenir une dynamique et entretenir le désir, en décrétant par exemple chaque semaine, la naissance du plus grand groupe du monde, ou le lancement en grande pompe d’un courant musical au qualificatif improbable.

The Weather Prophets se sépare en 1989. Astor est orphelin ; il se démultiplie alors en différentes entités : d’abord en solo sur Creation (1990) et Danceteria (1992) – puis en Ellis Island Sound et The Wisdom of Harry (1998).
Puis sa trajectoire oblique en 2011. Enfin sorti de cette période de léthargie froide et électronique les guitares reprennent le flambeau et son dernier album en date, le délicat Song Box est salué par la critique.

Peter Astor confirme aujourd’hui son net regain de forme et démontre son influence sur la jeune génération. James Hoare (Ultimate Painting, The Proper Ornaments et Veronica Falls) lui ouvre les portes de son studio maison et joue à l’homme-orchestre en appui. Astor s’est aussi entouré de Pam Berry (Black Tambourine, Withered Hand) au chant additionnel, Jack Hayter (Hefner) à la pedal steel guitar, Alison Cotton (The Left Outsides) au violon, et Robin Christian (Male Bonding) et Susan Milanovic (Feathers) aux percussions. C’est aussi sa configuration en concert.

Ce retour discographique est remarquable. Astor semble avoir capté naturellement -sans accroc ni tension – les meilleurs moments de ses sessions d’enregistrement. Tout semble glisser et couler de source avec un maximum de spontanéité. Spilt Milk est la vérité du moment – simple et limpide. Il n’est pas sans rappeler celui du retour réussi de l’ami australien Robert Forster.
Son écoute incite d’emblée au farniente, et provoque un étrange et désuet comportement : poser le vinyle sur sa platine, ou enclencher le CD dans son lecteur, s’allonger dans son canapé et apprécier le moment … et ne rien faire d’autre ! Ce comportement appartient-il à la préhistoire ? … Non ! … se profile juste un bon moment en perspective.

Peter Astor ouvre avec ‘’Really Something’’ et donne le tempo. Sans fioritures, avec deux – trois accords et un refrain accrocheur cet opus débute idéalement. Enregistré en mode mineur – Spilt Milk – ne manque pas de chaleur et de vie. L’écriture d’Astor est incisive et inspirée et couplée avec un sens acéré des mélodies. Sur l’auto-parodique et charmant premier single ’’Mr. Music’’ il n’emmène avec lui qu’une simple guitare. Le résultat est parfait. On l’imagine sur la route avec son baluchon et sa guitare en bandoulière reprenant a cappella ce morceau devant un auditoire réduit et charmé ou le soir venu autour d’un feu.


Avec son rythme plus soutenu ‘’My Right Hand’’ aborde les contreforts du country-rock. Le curseur grimpe ensuite. Le doux et mélancolique ‘’Perfect Life’’ est une miniature inspirée qui touche droit au cÅ“ur. ‘’The Getting There’’ et son motif rythmique joué en boucle renvoi aux années Creation de son géniteur et boucle la première partie du parcours.
Tout y est juste, inspiré et magnétique. L’indémodable configuration guitare, basse, batterie est en place et fait des merveilles. Peter Astor se montre aussi un chroniqueur avisé, ce qui ne gâche rien.

Sur l’excellent et hypnotique ‘’Very Good Lock’’ et sa boite à rythme imposante, Peter Astor nous avoue sa difficulté à communiquer – « Cause I Have Got a Very Good Lock, Everything I Keep Inside » . Cette chanson nous démontre tout l’inverse. L’ultra dépouillé ’’Good Enough’’ expose calmement sa nostalgie. Le mélancolique « There It Goes’’ respire au son d’une pedal steel guitar et d’une discrète boite à rythme, la voix apaisée de Peter s’intercale entre la musique en s’excusant presque ! Astor nous gratifie encore d’une petite merveille intimiste. L’énervé pop folk ‘’Sleeping Tiger’’ retrouve du carburant et nous renvoie à la pulsation et la rythmique des frères Moxham (Young Marble Giants).
Sur le dernier titre Astor nous interpelle : ‘’Oh You’’ ! Il aurait tout aussi bien pu le rebaptiser ‘’For You’’. Car cet album est un cadeau.

Quand il ne compose pas, Sir Peter Astor est maître de conférences à l’Université de Westminster où il prodigue et enseigne son vécu sur l’histoire de la musique. L’éminent Astor à aujourd’hui rendu sa copie. Il attend serein et tranquille le jugement de ses élèves versatiles et difficiles.
Un murmure se propage illico dans les travées de l’amphi … la note serait belle.