Sur son 22e effort studio, le guitariste de Fairport Convention s’offre une cure d’amplification en configuration trio.


Ces dernières années furent particulièrement endeuillées pour la guitare folk rock britannique. John Martyn et Berth Jansch ont rejoint les cieux, John Renbourn est toujours vivant mais en semi-retraite… seul Richard Thompson fait figure de résistant, d’autant plus qu’à 63 ans, sa santé et son inspiration demeurent insolentes. Depuis 1967, le légendaire guitariste/chanteur de Fairport Convention puis au sein du duo Richard & Linda Thompson, fait montre d’une constance et d’une qualité d’écriture qui, à ce jour, n’a jamais été démentie. Sa conséquente discographie en solo est jalonnée de classiques – citons-en au moins deux, Rumor and Sigh (1991) et Mock Tudor (1999). Soit très peu de déchets dans l’ensemble, et même ses albums les moins inspirés au milieu des années 80 contiennent chacun deux ou trois pépites miraculeuses. Aujourd’hui encore, chaque annonce d’un nouvel album constitue un évènement. Il est pour ainsi dire une valeur sûre, régulièrement honoré dans les classements des revues spécialisés catégorie « meilleur guitariste de tous les temps ». Et pourtant, ce grand monsieur est toujours méconnu du grand public en terre francophone, à tel point que ce nouvel album pâtit d’une incompréhensible absence de distribution national.

Quel est le secret d’une telle longévité ? Une piste : le vieux loup solitaire continue à se lancer des défis. Sur son précédent disque par exemple, Dream Attic, (2010), le six-cordistes virtuose avait choisi d’enregistrer ses nouvelles chansons en public. Mais encore sur l’album/DVD 1000 years of music (2006), il revisitait lors d’une soirée mémorable des chants marins traditionnels du XIXe siècle aussi bien que le « Oops I di dit again » de Britney Spears. Ou dans un tout autre registre, on garde en mémoire sa BO bluesy composée pour l’incroyable documentaire Grizzly Man de Werner Herzog. Electric en est un autre. Ce 22e opus studio était particulièrement attendu par les fidèles, car promettait un retour –comme l’indique son titre – à la fée électricité. Un disque présenté, selon les propres mots de son démiurge, comme « spécifiquement pensé pour une formule ‘Power Trio’ dans la lignée du Jimi Hendrix Experience et de Cream ». Sans évidemment atteindre la puissance des mammouths rock suscités, Electric est un disque tout en verve, où le phrasé inimitable de cet as du manche est particulièrement acéré.

C’est à Nashville que les sessions d’enregistrement se sont déroulées, avec Buddy Miller (Salomon Burke, Emmylou Harris…) assis à la chaise de producteur. Le trio, composé du bassiste Taras Prodaniuk et du batteur Michael Jerome (musiciens dont Thompson ne se sépare plus en studios et en tournée depuis Sweet Warrior ), impressionne de bout en bout. L’entente de ces trois musiciens est devenue avec les années franchement exceptionnelle. Des merveilles comme « Stuck on the Treadmill” et « Sally B » avec leurs riffs audacieusement tarabiscotés, déploient des trésors d’inventivité. Par ailleurs, le choix de cette configuration restreinte (on trouve tout de même ici et là quelques arrangements discrets d’accordéon, d’hurdy-gurdy et de mandoline) stimule une spontanéité collective qui manquait un peu à ses deux précédents opus, un peu trop vernis, même sur Dream Attic.

Comme si ce jeu de guitare époustouflant ne suffisait pas, le chanteur/parolier britannique, désormais résident aux Etats-Unis, a lui aussi encore quelques histoires en réserve. Ce pessimiste invétéré, relevé d’un certain humour british, continue de faire des ravages : l’émouvant « My Enemy » sur une vieille rivalité entretenue, ou encore le cinglant « Good Things happen to bad people » avec son refrain limite enjoué. On parlait de vieux loup solitaire, mais Richard Thompson n’est pas exactement tout seul. Il est même ici en charmante compagnie, en duo sur « The Snow Goose » avec la chanteuse/violoniste country Alison Krauss, ainsi que la britannique Siobhan Maher Kennedy, dont les harmonies vocales sont disséminées un peu partout, ses deux présences divines féminines ravivant en nous le vibrant souvenir de Linda Thompson. Une fois encore, Richard Thompson, cette force de la nature, vient de surprendre tout le monde.