Le grand retour des Outlaws rennais, trois ans après l’impeccable A Beautiful Lie. Leur americana fantasmée a plus que jamais une sacrée allure…


Vouer une admiration pour Santa Cruz n’est pas très compliqué, surtout lorsqu’on tient After Supper (2005) et A Beautiful Life (2009) comme des sommets de country folk atmosphérique. Quand bien même, ce groupe existe depuis dix ans, il est toujours stupéfiant de penser que leur paysages westerns fantasmagoriques ne nous viennent pas de Tucson ni même d’Austin, mais des terres vertes et humides bretonnes, plus précisément à Vern sur Seiche, en Ille-et-vilaine (là où réside le Cocoon Studio, leur fidèle repaire). Alors oui, tant pis pour le côté dépaysant de la localisation. De toute façon, tout le monde sait que Nashville n’est plus qu’un lieu de pèlerinage country pour touristes et que l’âge d’or est passé depuis bien longtemps.
Elvis in Acapulco, c’est d’ailleurs de cela dont il s’agit. Le titre de l’album est inspiré du film Fun in Acapulco (1963) où le King y tenait la vedette sans avoir mis une seul fois les pieds dans la baie mexicaine, la bobine ayant été tournée entièrement en studio. Dans le cas de Santa Cruz, ces gars-là rêvent tellement fort l’americana, que leur vision transcende les frontières, le genre. Et nous, on préfère définitivement se ranger du côté de ces grands rêveurs, égrainant leur spleen délicat mâtiné de folk, country et rock alternatif. Le sextuor rennais existe maintenant depuis une bonne décennie. Certains d’entre eux jouent même ensemble depuis qu’ils sont gamins. C’est le cas du chanteur/guitariste Pierre Vital-Gérard et du guitariste Goulven Hamel (sous le nom Twin Bees en solo). C’est dire si les vieux rêves d’adolescent sont ici entretenus.

Dix nouvelles compositions. Pas une de plus. La quantité diminue manifestement à chaque nouvel album, mais la qualité apprend indéniablement à mieux gérer son espace. Comme toujours, c’est du très bel ouvrage : une justesse remarquable dans le choix des arrangements, dans l’agencement des instruments (essentielles lap steel, banjo, dobro…). Surtout, Elvis in Acapulco donne une impression de lâcher prise après la concision de A Beautiful Life et les ambiances aériennes de After Supper (2005). Le sextet n’a jamais été aussi à l’aise avec son style. Leurs ballades reflètent une obscure clarté, nous conviant à une virée nocturne dans le désert. On embarque la couverture avec nous, car il y fait froid la nuit tombée, ce dès la belle intro toute en arpèges folk de « Sesame Noodles ». Suivant le mouvement, « On My Way Back » a la retenue élégante de Lambchop, obsession saine du groupe depuis leurs débuts.

Santa Cruz excelle dans l’art de mettre en scène un tableau, mais est tout autant capable de choyer ses mélodies : Il y a l’instantané « You Never Know » et sa belle innocence pop. « Unexpected Reactions », plus saturé que d’accoutumée, où le groupe développe toute sa science du refrain en apesanteur… Le titre ferait office de tube dans un monde meilleur. Le maestro Joseph Racaille (Miossec, Bashung), qui a conduit l’année dernière les chansons du groupe avec l’orchestre nationale de Bretagne, se contente de jouer du ukulélé sur le presque naïf « Walking in the Snow ». Mais le meilleur est pour la fin : on marche sur mars pendant neuf minutes sur « Great City of Devotion », en se rapprochant dangereusement du soleil, irradié par un spectaculaire larsen de guitare (signé Thomas Poli, le guitariste de Dominique A). Toute cette petite famille nous fait partager son plaisir d’être là, de jouer ensemble. Jusqu’ici cette année, on n’a pas trouvé meilleur véhicule pour nous emmener ailleurs.