Le maître de la six-corde psychédélique revient gâcher nos rêves avec ses accords en mode Diabolus in musica. Envoûtant et essentiel, pour tout amateur de sensations ésotériques.
Jusqu’à présent, le nom de Six Organs of Admittance, aka Ben Chasny – guitariste ermite, pionnier de la scène néo-folk psychédélique US – ne semblait briller qu’à travers quelques louanges disséminées sur divers forums pointilleux, musiciens redevables (Devendra Banhart…) et autres chroniques au compte-gouttes. Les albums – on le comprend bien – étant assez difficiles à dénicher. Il faut dire que la politique de la maison n’est pas très portée sur le commercial : parution uniquement en vinyl des disques faits maison, toujours en pressage ultra-limité (parfois uniquement 30 exemplaires), laisser ensuite mijoter deux ans (ou poireauter, c’est selon), enfin, pressage en cd quasi-introuvable – bien évidemment. Ces mesures idéologiques au départ plaisantes et sans concessions s’appuyant sur une audience confinée et entièrement dévouée, sont devenues depuis sujet à caution : on murmure même que le prochain 45 tours, tiré à 500 exemplaires, se négociera à 20 euros.
Il était donc temps que les choses changent avec ce sixième album, signé sur Drag City, label historique de Pavement et quelques autres pontes du rock indépendant américain. Très attendu également car baptême du feu pour ce membre des Comets on Fire, plus habitué en solo à la compagnie chaleureuse d’un quatre pistes artisanal qu’à l’esprit d’équipe en studio. Conscient de l’enjeu, le virtuose de la six-cordes folk semble avoir très méticuleusement préparé son entrée.
Après Compathia (2003), dernier disque chanté, et deux rééditions instrumentales, ce nouvel opus ne laisse aucun doute sur la beauté mystérieuse dont est détenteur cet activiste folk. Chasny a trouvé cette fois un allié de taille en la compagnie de Chris Orsano, (percussionniste prodigieux, déjà entendu auprès du saxophoniste free-jazz Paul Flaherty) pour mettre en relief ses constructions pyramidales, arpèges malsains et autres arrangements chamanistes dont il a le secret.
Le disque démarre sur un martèlement de batterie sonnant comme la fin d’une jam sesssion jazzy. Au bout d’une minute trente, la performance s’arrête soudainement pour laisser place à une mélodie léthargique, douces et mélodieuses où des arpèges acoustiques voluptueux et la voix douce de Ben Chasny caressent dans le sens du poil. Le contraste est saisissant, l’effet garanti.
Son jeu guitaristique (usant à outrance d’accordages en open-tuning), toujours aussi riche et fascinant, ainsi que la manière dont l’instrument est mixé en avant, sont en train de provoquer une mini-révolution sonique, redonnant à la guitare acoustique une fraîcheur inespérée. L’homme brille toujours dans les instants essentiellement acoustiques, comme sur les épurés “Thicker Than a Smokey”, “Lisboa” et le léger “Words for Two”. En binôme guitare/voix, Chasny ne fait plus qu’un avec sa guitare, il nous emporte vers des environnements de désolation où seul le mystère qui nous entoure semble vouloir communiquer avec nous.
Ce dépressif qui se soigne à grands coups d’arpèges n’en a pas pour autant délaissé ses envolées apocalyptiques instrumentales. Tout comme son alter ego, le guitariste instrumental Jack Rose (et que l’on vous recommande vivement), la musique de Six Organs of Admittance peut également devenir dangereuse, lorsque les ombres viennent recouvrir le tableau, cette musique diabolique peut glacer le sang. Le terrifiant “Saint Cloud” d’abord, où des drones de larsen électrique distillent une atmosphère ecclésiastique surnaturelle, la folie guette à chaque instant. Enfin, “School of Flower”, qui nous entraîne dans une transe d’abord sereine où des arpèges répétitifs forment peu à peu une danse diabolique, vomi par un solo de guitare électrique sans fin, le périple infernal prenant fin au bout de 13 minutes.
Huit tranches de frisson plus tard, on a de nouveau la confirmation que Ben Chasny est le folker le plus paranoïaque qui nous ait été donné d’entendre, mais aussi l’un des musiciens les plus impressionnants et constants du rock us.
-Lire également notre chronique de Compathia et Comets on Fire – Blue cathedral
-Le site de Six Organs of Admittance