Méconnu, ce groupe pourtant exemplaire de Dayton livre depuis dix ans un rock éloquent, entre intimité lo-fi et énergie binaire. Cette dernière livraison est plus tempérée. Largement recommandable.
Voilà cinq ans, le magazine britannique Mojo avait encensé Number Seven Uptown (2000) dans son numéro spécial « Les 1000 albums indispensables », sélection pointue réunissant tous les genres musicaux – à l’exception de la musique classique. Rangé dans les « classiques obscurs », ce joyau caché y est décrit en ces termes : « le lien manquant entre Hank Williams, Neil Young et The Who ». Depuis, on n’a toujours pas trouvé meilleure définition sur ce groupe tristement méconnu.
Sédentarisés à Dayton (Ohio), la poésie dissonante de Dave Doughman (chant/guitare) et de son fidèle bras droit Don Trasher (batterie) a été il est vrai éclipsée par une autre figure locale : l’insubmersible Robert Pollard, commandant de bord des défunts Guided By Voices. En activité depuis plus de 10 ans, Swearing At Motorist reste assimilé à ses camarades. Une affiliation de voisinage un peu facile, car si ce gourmand de Robert Pollard s’est toujours révélé fin fignoleur d’hymnes rock sucrés, Swearing At Motorist traîne davantage un lyrisme morbide et foudroyant.
Tête pensante, Dave Doughman a longtemps distribué les disques de SAM en catimini, publiant successivement des singles 7inch ou EPs. Signés chez Secretly Canadian en 2000 (soit cinq ans après ses débuts), cinq albums ont rapidement émergé en l’espace de deux ans. Mais le duo n’en faisant qu’à sa tête, la cadence en studio a considérablement ralenti depuis.
Tout comme les White Stripes, Swearing At Motorists ne jure que par l’alliance sacrée guitare/batterie, et ne s’encombre que très rarement d’un troisième instrument/larron. Toujours livrées sur des albums courts (pas plus de 29 minutes), leurs chansons semblent en perpétuel chantier, dénuées de refrains, et sont concentrées sur 2 minutes. Rajoutez-y un côté brut de décoffrage – mais toujours produit avec une infime justesse – cette formule rèche fait partie du charme de la formation. Leur rock faussement nonchalant va à l’essentiel et ne déborde rarement.
Ce sixième opus des aventures de « ceux qui jurent sur les automobilistes » ne dévie en rien les codes bibliques instaurés depuis More Songs From The Mellow Struggle (2000). Le disque a été conçu entre 2002 et 2005, quelque part entre Berlin, Bloomington, Dayton et Philadelphie. Sur la route, enregistrement « plug and play », l’environnement importe peu : tour bus, studios ou chambres d’hôtel… on n’osera vous en révéler plus pour cause de décence.
Vu de l’extérieur, rien ne semble avoir bougé, et pourtant Swearing At Motorists a opéré de profonds remaniements de l’intérieur. Moins direct, le son reste cru mais tempéré par un chant plus délicat que sur les opus précédents. La voix de Doughman se fait plus crooner que jamais. A vrai dire, il n’a jamais aussi bien chanté. Du coup, le tempo semble ralentir et l’intérêt se focalise logiquement sur les ballades crépusculaires. Sur “Ten Dollars”, accompagné seulement avec sa guitare acoustique (un titre certainement enregistré dans une baignoire), Doughman chante d’un filet de voix claire et limpide, terrassant de simplicité et de beauté. Le potard du grain de distorsion descendu au moins de moitié, Swearing At Motorists a encore gagné en précision et vérité. La colère rock des débuts s’est transformée en résignation. “Time is Everything” nous fait l’honneur d’être illuminé d’une trompette certainement fraudée du côté de la frontière mexicaine, celle évoquée dans La Horde Sauvage.
Encore plus noire, “You Will Not Die Tonight (Probably)”, est hypnotique. Maintenu sur un seul accord de guitare, Doughman s’enfonce dans les tréfonds obscures de l’âme humaine, sondée par cette voix presque incantatoire.
En marge de ces crooneries lo-fi, cette bonne vieille gratte nerveuse est toujours de la partie : “Nothern Line”, “Slave To kettle” (du Cobain en grande forme), prouvent que l’on peut jouer binaire en ayant un style fou. De plus, Doughman est un parolier génial, grand chroniqueur de la désolation sentimentale et urbaine. Il est particulièrement secouant sur le faussement guilleret “Waterloo crescent” qui évoque une liaison sous cocaïne, l’amour s’atténuant lorsque l’effet de la drogue disparaît.
Pour l’anecdote, c’est Scott Niblett qui a signé cette sublime pochette de l’album, le flou d’une peau juvénile aux apparences de flamme.
-Le site officiel de Swearing At Motorists
-Deux extraits en écoute sur le site de Secretly Canadian