Chronique tardive d’un amour contrarié ou pourquoi le troisième disque de TV On The Radio reste une déception notable de l’année qui vient de s’écouler.


Des deux premiers albums détonants de TV On The Radio, Desperate Youth, Blood Thirsty Babes (2004) et Return to Cookie Mountain (2006), on dira qu’ils sont l’oeuvre de laborantins. Cinq rats des villes enfermés dans un studio de Brooklyn, avec des consoles et des tables de mixage en guise d’éprouvettes. Un seul dessein les anime : mettre en sons des compositions qui se prêtent à leur soif de recherches, trouver des textures inédites, faire d’audacieux croisements transgenres (post-punk, indie rock, soul, gospel, afrobeat, hip-hop, free jazz). Une fois couchées sur disque, ces savantes manipulations laissaient essentiellement transparaître une énergie brute et décapante, mâtinée de folles expérimentations en phase non seulement avec le post-modernisme de l’époque, mais aussi certaines revendications libertaires afro-américaines. Point de chansons à proprement parler, juste des précipités de vie(s) soudainement libérés de leur carcan formel. Au départ des intentions et un protocole, à l’arrivée une montagne sonore imposante et contrastée, parfois escarpée. D’aucuns ne manqueront pas d’ailleurs de reprocher au groupe sa soi-disant cérébralité et le caractère programmatique de ses compositions, quand on pouvait au contraire louer chez le quintet une force libératoire des plus stimulantes : intensités, vitesses et combinaisons sonores prenaient le pas in fine sur toute forme de préméditation, éclataient les formats, faisaient voler le flacon pour lui substituer l’ivresse d’une musique littéralement emportée.

Dear Science marque à ce titre un changement de taille. Si, dans le domaine cinématographique, on peut distinguer les cinéastes du plan et ceux du récit (on précise tout de suite que ce n’est pas l’un contre l’autre, mais bien l’un plutôt que l’autre, l’un préférentiellement à l’autre), décrétons de même que se distinguent les musiciens du son et ceux de la mélodie. Rares sont les groupes de rock qui peuvent se targuer, à l’instar de Radiohead ou Portishead, de cumuler les deux avec une inspiration égale. Dear Science marque ainsi pour TV On The Radio le passage du son vers la mélodie. D’abord écrire des chansons mélodieuses, puis ensuite les mettre en son, là où sur les deux précédents opus le mouvement semblait inverse — inventer une matière sonore composite et la modeler jusqu’à ce qu’apparaissent éventuellement, à travers la fusion rageuse des éléments, ces fameuses chansons. Au final demeure bel et bien un univers sonore immédiatement reconnaissable, mais, dans la démarche, le procédé opératoire change quelque peu la donne. Et le résultat déçoit.

Car le hic, c’est qu’en mettant en avant de la sorte ses compositions, le groupe expose sa facette musicale la moins attractive. Force est d’admettre, en effet, qu’en termes d’écriture et de confection mélodique TV On The Radio ne brille pas toujours — ce depuis ses débuts. Sur “Crying”, morceau funky assez insipide, la formation de Kyp Malone se montre même assez quelconque. Le gimmick réchauffé de guitare, la voix de Tunde Adebimpe aux inflexions princières (qui demeure dans un registre soul-rock intéressante, mais ne possède pas le pouvoir d’attraction d’un Thom Yorke ou d’une Beth Gibbons, et ne peut suffire à elle seule à faire tenir un morceau debout), les claquements de mains artificiels, la nonchalance du groove se voudraient sans doute accrocheurs, mais manquent en réalité de saveur et relèguent au second plan des arrangements de synthés et de cuivres sans grande originalité. Le constat d’échec est double : pourtant prioritaire, la chanson n’est pas plus réussie que cela, et le traitement sonore sans aspérités de David Sitek paraît au mieux plaqué, au pire accessoire. Pareil écueil se reproduit sur “Dancing Choose” (au refrain paresseux et au finale cuivré poussif), “Stork & Owl” (sorte de sous-Bowie aux cordes accessoires), “Golden Age” (sorte de sous-Michael Jackson, période Thriller, sans véritable nouveau souffle) ou « Red Dress » (trop carré dans ses bottes afrobeat, plus proche du mauvais Peter Gabriel que du vénéré Fela).

Parmi les quelques rares voix discordantes qui se sont fait entendre au moment de la sortie de Dear Science, certaines pointaient un possible formatage du groupe. Ce n’est pas exactement de cela dont il s’agit. Après l’envol, TV On The radio ne rentre pas dans le rang. On peine à croire que le quintet se contente à présent de séduire une foule de plus en plus conséquente, et encore moins qu’il se gratifiera à l’avenir d’un piédestal depuis lequel il puisse la contempler assis dans son confortable fauteuil de parvenu. Simplement, cette révolte un peu brouillonne et insaisissable qui prévalait dans les deux premiers albums a été, sur ce dernier opus, canalisée à l’intérieur de chansons étroites et assez moyennes qui multiplient les directions stylistiques comme autant d’ambiances déconnectées d’une nécessité formelle. Celle susceptible de les dépasser en tant que chansons et de rendre vraiment compte au-delà d’une réalité culturelle contemporaine. Les meilleurs morceaux de l’album sont d’ailleurs ceux qui réveillent cette ardeur libertaire (et les guitares), misent sur une pulsation frénétique plutôt qu’un refrain censé faire mouche, qui mobilisent sans le truchement des mots une puissance expressive, comme “Halfway Home”, “Shout Me Out” ou « DLZ ». De quoi penser que TV On The Radio peut encore rebondir et opter la prochaine fois pour une orientation esthétique plus convaincante. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

– Le site de TV On The Radio

– Leur page MySpace